A quand la "glasnost" dans la politique linguistique de l’U.E. ?

Publié le jeudi 15 août 2002 par admin_sat

Près d’un quart de siècle après la publication d’un rapport intitulé "Communauté à douze ? L’impact du nouvel élargissement sur les Communautés européennes", rédigé par Mme Renée van Hoof, directrice générale du Service Commun Interprétation Conférences (31 janvier 1978), le temps n’est-il pas venu de s’interroger et de poser des questions sur le contenu de ce document ?

On pouvait y lire que "toutes les organisations internationales connaissent, à des degrés divers, une pénurie d’interprètes vraiment qualifiés" (p. 2).

En page 3  :
"Malgré tous les efforts de prospection et de formation entrepris par les services de la Commission, chargés depuis 1958 de l’interprétation de toutes les réunions des Institutions de Bruxelles (Commission, Conseil de Ministres, Comité économique et social), on a régulièrement connu des difficultés pour trouver tous les interprètes demandés pour un nombre croissant de réunions."

Page 4 :
"La situation s’est sérieusement compliquée avec le premier élargissement de la Communauté entraînant l’adjonction de deux nouvelles langues dont l’une, le danois, relativement peu connue."

En page 5, il est écrit que l’application de la règle requise de deux interprètes par langue (pour un résultat convenable) a conduit à une progression de 96,5 % du nombre de journées d’interprètes (10 fois plus) pour un nombre de réunions qui a augmenté de 9,5%, si bien que ça débouche sur cette conclusion :
"Il est dès lors évident que l’adjonction de trois nouvelles langues, l’espagnol, le grec et le portugais, serait de nature, si l’on visait un régime linguistique intégral, non seulement à créer les pires difficultés mais même à paralyser complètement le bon fonctionnement des institutions."

On en est donc arrivé au recours aux relais, qui accroît le risque d’erreurs et engendre une énorme déperdition d’informations.
Une phrase mérite particulièrement d’être soulignée en page 7 :
"Le recours, parfois préconisé, à une langue artificielle, telle que l’espéranto, relève évidemment de l’utopie."

Mme van Hoof préconisait déjà en conclusion (p. 9) ce dont il est aujourd’hui de plus en plus question : adopter un régime dit "simplifié" qui contraindrait les participants des réunions à délibérer "en français, en anglais, voire en espagnol ou en allemand" avec interprétation vers et depuis ces langues pour les autres.

Aujourd’hui, qu’en est-il ? Les Européens n’ont-ils pas un droit de regard sur une politique qui, faute de transparence, les placera inévitablement devant le fait accompli ? Le silence qui entoure ces questions accrédite même l’idée qu’il s’agit de les placer dans cette situation.

Ces tabous ne cachent-ils pas des tentatives de tromper leur vigilance ?
Car au-delà des salles de réunion, il y a l’Européen de base qui est complètement oublié.

Si ça marche si mal et à un tel coût au niveau des institutions — et on ne lésine pourtant pas sur les moyens —, qu’en est-il pour les citoyens européens ? Ceci nous mettrait en Europe dans une situation comparable à celle où, en France, un Basque français, un Breton, un Alsacien ou un Provençal, en supposant qu’ils n’auraient pas le français comme langue commune, ne devraient qu’au hasard de pouvoir se comprendre, parce qu’ils auraient appris telle langue étrangère plutôt que telle autre.
Quant aux visées cherchant à placer l’anglais dans le rôle de langue unique devant lesquelles toutes les autres langues devront s’effacer pour permettre d’imposer de nouvelles structures mentales aux Européens, pour les contraindre à voir le monde à l’américaine, à penser à l’américaine, elles existent bel et bien. (Voir le document "Anglo-American Conference Report 1961" dévoilé par le professeur Robert Philippson dans "Linguistic Imperialism" Oxford University Press, 1992, 374 p. pouvant être commandé sur alapage.com)

Bien peu de gens ont conscience que c’est tout autre chose de maîtriser les subtilités d’une langue, étrangère pour tous sauf pour les Britanniques, que de s’habituer à l’euro.

Dans le choix d’une langue telle que l’anglais, il faut toujours se souvenir que du côté de ceux qui l’apprennent comme langue étrangère, il y a des années d’étude et de pratique, des frais énormes pour les individus comme pour les pays et les entreprises, un temps considérable soustrait à l’acquisition de connaissances professionnelles, et de l’autre côté l’avantage de trouver, par les séjours linguistiques en pays anglophones, l’interception de découvertes par le biais des articles publiés par des Européens dans des revues scientifiques des pays anglophones, etc., un profit comparable à celui que procurent des puits de pétrole
Ce n’est pas sans raison que, dès 1978, l’année même de publication du rapport dont il est ici question, le quotidien "Herald International Tribune" (12 octobre) pouvait titrer un article "English is a Profitable British Export".

Nous ne travaillons plus pour le roi de Prusse, mais pour la reine d’Angleterre.
L’euro est neutre, l’anglais ne l’est pas et, de plus, c’est la langue du pays le moins européen de l’Union.
L’auteur d’un article publié dans "Le Monde" (30 novembre 1999) sous le titre "Le coût du multilinguisme" s’interrogeait déjà sur un mur de silence, et beaucoup de participants de ce forum attendent une réponse claire de Madame Nicole Fontaine comme de ceux qui président aux destinées de l’Union européenne :

"Mais force est de reconnaître que la tâche est difficile, écrivait Nicolas-Jean Brehon, tant les ramifications du multilinguisme et les réticences pour évoquer ce sujet tabou sont nombreuses. D’ailleurs, selon un haut fonctionnaire européen, « le chiffre [du coût du multilinguisme] n’est pas connu, ou s’il l’est, le secret est bien gardé »."

Le problème ne vient-il pas précisément du fait que, sans justification sérieuse, la voie présentée comme utopique n’a jamais été prise en considération, alors que celle qui relevait effectivement de "l’utopie" tout autant que du casse-tête est précisément celle qui a été appliquée et qui l’est toujours à grands frais ?
Le latin a fonctionné de manière satisfaisante en son temps comme langue internationale des clercs, mais, de nos jours, l’espéranto est parfaitement qualifié pour jouer ce rôle avec, en plus, l’avantage d’être accessible à toutes les couches sociales sans exiger des moyens financiers excessifs de la part des États, ce qui ne serait pas le cas du latin, pas plus d’ailleurs que de l’anglais (dont on n’a jamais compté ce qu’il nous a coûté par rapport à ce qu’il nous a rapporté), sauf si l’on se contente de citoyens européens bredouilleurs.

Voulons-nous donner une conscience européenne aux citoyens de l’Union européenne ? Ils n’auraient pas accepté la monnaie d’une nation. Ils auraient encore moins accepté l’hymne d’une nation. Donnons-leur une langue qui puise ses racines dans diverses langues de l’Europe et dans laquelle beaucoup de peuples du monde reconnaissent des traits caractéristiques de leur propre langue !