Position dans la phrase ou "monème fonctionnel" (morphème)

Publié le mardi 7 janvier 2003 par admin_sat

Le principe de l’analyse phonétiquement et visuellement perceptible, qui détermine toute la structure de la langue de Zamenhof, implique nécessairement un signe distinctif pour le complément d’objet. Toutes les autres fonctions grammaticales étant exprimées par un phonème ou groupe de phonèmes particulier, l’absence d’un signe permettant d’identifier immédiatement l’objet de l’action vicierait de façon intolérable toute la construction de la langue.

Comme par ailleurs l’existence des "monèmes fonctionnels" ("morphèmes fonctionnels") autorise une très grande liberté dans l’ordre des mots, l’obligation de suivre l’ordre sujet-verbe-objet qu’impliquerait nécessairement le renoncement à l’accusatif serait incompatible avec une tendance très accentuée dans le reste de la langue.

Une langue qui devrait obéir à deux principes aussi contradictoires ne serait pas viable. Quant au système du français et de l’interlingua, avec accusatif pour certains mots (je, me ; io, me) et pas pour d’autres, il serait inadmissible dans une langue comme l’espéranto où le principe de cohérence est poussé jusqu’à ses extrêmes limites. On peut aimer ou ne pas aimer le principe de l’analyse immédiatement perceptible, mais on ne pourrait en suspendre l’application dans certains cas sans déséquilibrer la totalité de l’édifice.

À vrai dire, même si les lois structurales de cohésion du langage permettaient l’absence d’accusatif, on aurait intérêt à le maintenir pour assurer une communication de qualité dans les conditions particulières de l’usage international.

Toutes les langues distinguent d’une manière ou d’une autre le sujet de l’objet. Les moyens utilisés se répartissent en deux grandes catégories : la position dans la phrase, d’une part ; le "monème fonctionnel", d’autre part (on peut regrouper sous cette dernière rubrique tous les cas, linguistiquement équivalents, où la distinction entre le sujet et l’objet est assurée par un élément visuel ou audible de la langue : préposition, postposition, terminaison, flexion...).
Beaucoup de langues ont un système mixte. Par exemple, en français, la distinction est opérée
1) par la position lorsqu’il s’agit de substantifs : la maîtresse aime l’élève (par opposition à l’élève aime la maîtresse),
2) par un changement de forme dans le cas de certains relatifs : l’homme qu’a tué le colonel (par opposition à l’homme qui a tué le colonel) ;
3) par un changement de position et de forme dans le cas des pronoms personnels : je le vois (par opposition à il me voit).
Les cas où la position est le seul moyen dont dispose une langue pour distinguer le sujet de l’objet sont extrêmement rares. Peut-être même n’en existe-t-il pas. Contrairement à une opinion très répandue parmi les linguistes, le chinois connaît d’autres possibilités, comme le montrent les trois façons suivantes, toutes trois courantes, de rendre la phrase "il a préparé le rapport" :
ta zhunbeihaole baogao (espéranto : li preparis la raporton) ;
baogao a, ta zhunbeihaole (la raporton li preparis) ;
ta ba baogao zhunbeihaole (li la raporton preparis).
Les formules a) et b) ont à peu près la même fréquence dans les phrases correspondantes en espéranto ; la formule c), avec complément d’objet direct placé devant le verbe et introduit par la préposition accusative ba, est plus fréquente que la structure correspondante dans la langue de Zamenhof.