New Statesman - 22 mai 2008 (fr)

Traduction d’un article paru en anglais dans New Statesman  :

www.newstatesman.com/society/2008/05/esperanto-language-anti-world

A la conquête du monde

Observations au sujet de l’espéranto

Il est peu probable que Georges Soros, des anarchistes japonais et William Shatner aient grand-chose en commun – si ce n’est, peut-être, leur étude de l’Espéranto, la “langue auxiliaire internationale” qui a plus de 120 ans maintenant et est beaucoup mise en avant par des militants à Hokkaido, au Japon, avant le sommet du G8 cet été.

Inventée en 1887 par le docteur Louis Lazare Zamenhof, l’Espéranto est une langue construite avec des racines latines et germaniques, une phonologie bélarusse, et une sémantique slave. Le jeune ophtalmologue voulait une langue-pont pour détruire les barrières linguistiques, qui existaient partout dans sa région natale en Pologne, où divers ethnies et groupes linguistiques habitaient de façon assez isolée les uns des autres – isolement, qui provoquaient peur, suspicion et parfois violence.

Il y a eu beaucoup de tentatives pour faire passer le mot, mais le dernier élan d’enthousiasme est venu d’entre les organtisateurs actuels anti-capitalistes, qui espèrent l’utiliser pour faciliter l’activité internationale.

La ligue espérantiste pour la liberté à Hokkaido (Libera Esperanto-Asocio en Hokkajdo), un des nombreux groupes japonais coordonant les protestations contre le sommet du G8, a déclaré voir l’Espéranto comme “un symbole d’égalité et d’internationalisme”.

Ses buts sont doubles : premièrement, voir l’Espéranto utilisé pour la communication entre japonais et militants étrangers ; et deuxièmement, pour le mouvement anti-G8, stimuler l’apprentissage de la langue.

Beaucoup des documents produits par les groupes japonais anti-G8 ont des traductions sur internet en anglais et en Espéranto, et les Espérantistes vivant à Hokkaido ont appelé de façon internationale les groupes à étudier et mettre en pratique la langue pendant les jours précédant le sommet du 7 au 9 juillet.

Les appels font écho à ceux d’un nombre croissant de groupes d’étude d’Espéranto à l’échelle mondiale depuis le Brésil jusqu’à la Corée du Sud.

Essayer d’établir une langue commune est stratégique, mais révèle également une idéologie – essayer de mettre à mal la hiérarchie linguistique des langues dominantes. Des militants argumentent que, de même que la somme des habitants des pays du G8, qui gouverne le monde, ne représentent que 14% de la population mondiale, les anglophones natifs, qui maîtrisent les discussions en anglais, ne représentent à peine plus de 5% de la population mondiale.

Des anti-capitalistes férus d’informatique ont trouvé, que des logiciels libres – entre autres Linux, OpenOffice et Mozilla – travaillent en Espéranto depuis 2003. Indymedia, le média alternatif indépendant, parle de passer de l’anglais à l’Espéranto pour les communications internationales. Le linguiste finlandais Jouko Lindstedt estime que 10 millions de personnes ont appris l’Espéranto de part le monde.

Bien qu’il soit le plus accessible pour les locuteurs natifs de langues indo-européennes, l’Espéranto a toujours compté de fervents soutiens en Asie (des anarchistes japonais utilisaient l’Espéranto pour communiquer avec des collègues européens avant la Première Guerre Mondiale). En Chine, déjà aussi avant 1913, la première revue anarchiste du pays, La Voĉo de la Popolo (La voie du Peuple), a débuté en Espéranto.

Dans Mein Kampf, Hitler condamnait la langue comme un outil de la conspiration juive internationale ; Staline disait, qu’elle était “la langue des espions”.

En mars de cette année, l’entrée au Japon a été refusée au militant allemand Martin Kraemer par les responsables du port de Sapporo-Otaru, où il débarquait en jouant “L’Internationale” avec sa trompette, invité par la ligue d’Espéranto de Sapporo pour aider à préparer les protestations contre le sommet du G8.

Y a-t-il contradiction pour des militants “anti-mondialisation” à vouloir un outil de communication mondiale ? Pas vraiment. Le contraire de la mondialisation n’est pas l’isolement.

La Ligue d’Espéranto pour la liberté à Hokkaido explique : “Tandis que l’ennemi pousse à la précipitation de la mondialisation, il est toujours plus important pour nous d’avancer ensemble et de réaliser une solidarité internationalisée.”

Dans cet esprit, les Espérantistes de Hokkaido ont fait le voyage en Corée du Sud en décembre 2007 pour aider à l’installation d’un nouveau groupe d’Espérantistes radicaux.

Comme on dit en Espéranto : "Alia mondo estas ebla !" (un autre monde est possible !).

Claire Provost