L’Européen trilingue : un espoir réaliste ?

Publié le jeudi 3 janvier 2002 par admin_sat , mis a jour le lundi 22 novembre 2004

Dans toute l’Europe, bien des voix s’élèvent en faveur d’un trilinguisme généralisé. Il faut, nous dit-on, que l’enseignement des langues vise à faire de chaque jeune Européen un citoyen trilingue. Mais que veut dire trilingue ? S’agit-il de posséder à fond deux langues en plus de sa langue maternelle ? Le linguiste Claude Hagège définit ce niveau comme suit : "Pour moi, connaître parfaitement une langue, c’est être capable de saisir des jeux de mots débités sur un ton très rapide par des usagers natifs, et la parler sans être identifié comme un étranger" [1] et il conclut en disant : "Le nombre de vrais bilingues […] est plutôt réduit." De fait, ce niveau de bilinguisme implique des circonstances exceptionnelles, comme deux parents de langue différente ou une scolarité faite dans une autre langue que celle de la famille. De simples séjours linguistiques ne suffisent pas. Personnellement, j’ai vécu cinq ans aux États-Unis, je travaille beaucoup en anglais, j’ai même enseigné à San Francisco State University, mais je ne passerai jamais pour un anglophone, et si je vais voir une comédie musicale américaine, je suis loin d’en saisir toutes les finesses.

Un enchevêtrement complexe de programmes

Une langue, c’est un enchevêtrement complexe de programmes, au sens informatique, dont le déroulement est constamment inhibé par des centaines de milliers de programmes secondaires ou tertiaires interférant avec les premiers. Nous ne nous en rendons pas compte, parce que l’acquisition de notre langue maternelle s’est faite inconsciemment, à un âge où rien ne nous permettait de soupçonner l’ampleur du travail qu’effectuaient nos neurones. Pour s’exprimer correctement, il faut sans cesse bloquer les chemins neuropsychologiques naturels. Par exemple, si l’on veut rendre par un adjectif l’idée "qu’on ne peut pas résoudre", le jeu spontané du cerveau conduit à irrésolvable. Mais il faut barrer ce chemin et installer la déviation qui mène à insoluble Autre exemple : vous avez entendu ce matin Mme Cristina del Moral citer à plusieurs reprises le nombre de parleurs de telle ou telle langue. Son français était remarquable, mais sur ce point précis la pente naturelle l’a emporté sur sa connaissance de notre langue : parleur est la forme à laquelle aboutissent directement les mécanismes cérébraux pour exprimer l’idée que le langage correct désigne par le mot locuteur. Et lorsque l’étranger qui apprend le français a intégré en hiver, j’y pense et biologiste, il doit inhiber en printemps, je lui pense et psychologiste. Le flux nerveux ne peut suivre son mouvement naturel, qui le porte à exprimer les concepts parallèles par des formes parallèles.

Notre tendance naturelle consiste à généraliser tout trait linguistique. Si tous les enfants disent plus bon avant de dire meilleur, c’est parce qu’ils généralisent la structure de plus beau, plus fort, plus petit, etc. Apprendre une langue, cela consiste à se déconditionner des réflexes de sa langue maternelle, à réintroduire dans le cerveau une série de réflexes différents, puis à inhiber un pourcentage très élevé de ces réflexes pour conduire à une forme correcte qui va à l’encontre de la tendance spontanée à la généralisation L’Anglais qui fait du français doit apprendre qu’il ne peut pas dire, comme dans sa langue, je chante / vous chante. Il doit intégrer le réflexe qui fait dire vous chantez. Mais une fois ce réflexe mis en place, il doit introduire, pour certains verbes, un réflexe qui va l’inhiber. Mettre un sens interdit devant vous faisez, vous disez,et une déviation conduisant à vous faites, vous dites. Seulement, une fois installée cette déviation, il faut recommencer le travail avec prédire. Il a été dirigé sur un chemin qui conduit à vous prédites. Erreur, on dit vous prédisez. Vous le voyez : apprendre une langue européenne, c’est superposer les unes sur les autres plusieurs couches de réflexes. Je dis réflexe parce qu’il ne suffit pas d’avoir compris et mémorisé. Si vous devez réfléchir, parcourir toutes les fiches et tous les dossiers classés dans votre mémoire pour trouver la forme correcte, vous ne parlez pas couramment. C’est mon dilemme quand je dois parler russe. Bien que j’aie des milliers d’heures de pratique de russe derrière moi, j’ai le choix entre parler correctement, mais lentement, sur un rythme haché, saccadé, pénible, avec une énorme fatigue nerveuse ou parler couramment mais en faisant rire tout le monde, tellement mes fautes peuvent être cocasses.

Un minimum de 10.000 heures

Il faut au moins 10.000 heures d’étude et de pratique pour fixer les centaines de milliers de réflexes nécessaires, dont le nombre est incompressible. Or, l’enseignement de la première langue étrangère comprend au total entre 800 et 1200 heures de cours selon le pays. Il n’est donc pas étonnant qu’au niveau du bac, un élève sur 100 seulement soit capable de s’exprimer correctement dans la première langue étrangère apprise. Huit cents à 1200 heures, c’est le dixième de ce qu’il faudrait. Si on veut que les élèves possèdent deux langues étrangères, il faut multiplier par vingt le nombre actuel d’heures de cours.

C’est dans ce sens qu’a opté le Luxembourg, où, à l’école primaire, sur 27 leçons hebdomadaires, 12 sont consacrées à deux langues étrangères : l’allemand et le français, soit environ 3000 heures pour les six années primaires. Comme l’étude des langues se poursuit au niveau secondaire, le Luxembourg dispose effectivement d’une population trilingue, mais les Luxembourgeois sont moins forts que leurs camarades du même âge en mathématiques, en sciences et dans diverses autres branches importantes. En outre, si les jeunes ne perdent pas ces langues quand ils entrent dans la vie active, c’est à cause de la situation géographique exceptionnelle du Grand-Duché, où les contacts avec des personnes de langue française et allemande sont quotidiens. Dans des pays comme l’Espagne, la Finlande ou la France, l’oubli ne tarderait pas à s’installer, parce que les réflexes conditionnés ne se maintiennent que s’ils sont régulièrement renforcés. Vous le constatez si vous restez quelques années sans parler une langue : les mots qui se dérobent, les fautes que vous faites apparaissent là où manque un lien conditionnel entre concepts apparentés ou un réflexe inhibiteur et une déviation.

Trilinguisme ou promotion déguisée de l’anglais ?

Si l’on veut une population trilingue, quel niveau va-t-on viser ? Un niveau de maîtrise dans les trois langues est impossible par le simple enseignement scolaire et on n’arrivera pas à financer des séjours linguistiques de longue durée pour la totalité de la population. Même l’enseignement de certaines branches dans la langue étrangère ne donne pas accès au niveau souhaité. En Suisse, il existe des lycées qui enseignent quatre branches en langue étrangère pendant trois ans. Le niveau des élèves dans la langue en question est certes bien supérieur à celui que donne l’enseignement traditionnel, mais il est tout de même encore loin de la maîtrise. Si l’on s’en tient aux langues européennes, la seule solution réaliste serait un trilinguisme comportant une bonne connaissance de la langue maternelle, une connaissance imparfaite mais relativement opérationnelle d’une deuxième langue et une initiation à une troisième langue permettant, non pas vraiment de l’utiliser, mais d’en avoir une certaine idée, ce qui, culturellement parlant, se justifie, car plus l’on découvre de façons différentes d’exprimer les mêmes pensées, plus l’esprit s’élargit.

Malheureusement, ce système comporte de graves inconvénients. Il favoriserait une inégalité en faveur des pays anglophones. En effet, on ne peut communiquer d’un pays à l’autre que si l’une des langues enseignées est la même pour tous. Sinon comment un trilingue portugais-grec-danois pourrait-il avoir un échange sérieux avec un trilingue finnois-allemand-français ?

Les parents exigeront donc que la langue apprise le plus à fond soit l’anglais. Quant aux élèves de langue anglaise, la plupart seront peu motivés pour apprendre deux autres langues, puisqu’ils savent que, où qu’ils aillent, ils pourront se tirer d’affaire avec leur langue maternelle. Or, le principal facteur de succès dans l’apprentissage d’une langue est la motivation. Paradoxe : on prône le trilinguisme pour sauvegarder la diversité, pour assurer une meilleure connaissance mutuelle de tous les Européens, mais en fait on les conduit tout droit à une soumission à l’anglophonie, avec pour conséquence l’imprégnation dans une façon de penser qui n’a rien à voir avec les traditions mentales et culturelles de l’Europe continentale.

Nous allons donc, non pas vers un trilinguisme généralisé où tout le monde serait plus ou moins sur le même pied, mais vers un bilinguisme plus ou moins effectif avec renforcement de l’inégalité entre les peuples. Les peuples ne sont pas à égalité devant l’anglais : les Germains sont avantagés par rapport aux Latins, et les Latins par rapport aux Slaves et autres Baltes. L’anglais est foncièrement une langue germanique, donc proche des langues scandinaves, de l’allemand et du néerlandais. Il a beaucoup en commun avec ces langues, non seulement au niveau du vocabulaire de base et de la grammaire, mais à des niveaux beaucoup plus subtils. Il y a un esprit commun aux langues de cette famille qui est étranger aux langues latines et slaves. Mais si les personnes de langue romane sont défavorisées par rapport aux Germains, elles sont dans une situation beaucoup plus favorable que celles d’Europe orientale. Une des difficultés de l’anglais tient à son immense vocabulaire, qui représente à peu près le double de celui d’une autre langue européenne, un énorme apport français et latin s’étant ajouté au fond germanique sans s’y substituer. On ne sait pas l’anglais si on ne connaît pas à la fois fraternal et brotherly, liberty et freedom, vision et sight. Un Occidental connaît d’avance un des deux termes, mais pas un Hongrois ou un Estonien. L’adoption de l’anglais comme moyen de communication internationale crée une hiérarchie entre les peuples : elle n’est pas démocratique.

Une solution réellement réaliste

La seule chance d’éviter un renforcement de la position hégémonique de l’anglais implique une prise de conscience au niveau des autorités et des médias. Malheureusement, cette prise de conscience se heurte à une énorme résistance. Le domaine où je vais vous introduire maintenant est un domaine où les idées reçues sont extrêmement répandues, et où les personnes qui ont réellement ouvert le dossier sont peu nombreuses. Je fais confiance à votre ouverture d’esprit et vous invite à m’écouter sans idée préconçue. Tout ce que je vais dire se fonde d’une part sur mon expérience, notamment mon vécu d’enfant, et d’autre part sur une étude des faits, faits d’ordre culturel, pédagogique, linguistique, phonétique et neuropsychologique. Comme il s’agit de faits, tout ce que je vais dire est parfaitement vérifiable, même si cela paraît ahurissant [2].

Il existe un trilinguisme réaliste, exempt des inconvénients de celui dont j’ai parlé jusqu’ici : le trilinguisme "langue maternelle — espéranto — autre langue"

L’espéranto est entièrement fondé sur le droit de généraliser tout trait linguistique. Cela veut dire, du point de vue neuropsychologique, qu’il fait l’économie de tous les réflexes secondaires ou tertiaires mis en place dans les autres langues pour inhiber les premiers réflexes installés. L’élève qui apprend une autre langue a l’impression d’être engagé sur un parcours qu’un sadique a parsemé de pièges mis là tout exprès pour le faire trébucher. Or, l’installation des réflexes empêchant de tomber dans ces pièges représente environ 90% du temps nécessaire à l’acquisition d’une langue.

Comme, en espéranto, ces pièges n’existent pas, l’économie en temps d’apprentissage est énorme. Un mois d’espéranto confère un niveau de communication comparable à celui que donne un an d’une autre langue. Autrement dit, après six mois d’espéranto, à nombre égal d’heures hebdomadaires, l’élève a une capacité de communiquer équivalant à celle qu’il possède, pour une autre langue, au terme de ses études secondaires. Cela veut dire qu’il suffit d’enseigner l’espéranto pendant un semestre, soit à la fin du primaire, soit au début du secondaire, pour réaliser la première étape : le bilinguisme "langue nationale — langue internationale". Pendant tout le reste de la scolarité, l’élève dispose donc, pour apprendre la troisième langue, de toutes les heures actuellement consacrées à la deuxième.

Aspects relationnels et pédagogiques

Ses chances d’atteindre un bon niveau dans cette troisième langue sont d’autant plus réelles que l’espéranto présente des avantages considérables en tant que branche propédeutique, c’est-à-dire pour la préparation à l’étude des langues. Un Français qui apprend l’allemand doit se déshabituer d’un système complexe, rigide et arbitraire pour transformer en nouvelles habitudes un autre système complexe, rigide et arbitraire. Pour passer de je vous remercie à ich danke Ihnen, il faut modifier les réflexes concernant la place du pronom et ceux qui ont trait à la nature directe ou indirecte du complément d’objet. Si j’ai employé le mot arbitraire, c’est parce que cette substitution de réflexes n’a rien à voir avec les exigences de la communication. Si je dis je remercie à vous, ce qui est la traduction littérale de la formule allemande, vous me comprenez parfaitement. La communication passe en ce qui concerne le contenu. Ce qui diffère de la communication normale, c’est que j’ai l’air bizarre, nous ne sommes pas à égalité, c’est au niveau relationnel qu’il y a problème.

Il peut arriver que ce niveau relationnel soit important. Même lorsque le contenu de l’énoncé est bien transmis, parce que ceux qui écoutent font la part des choses, si des connotations parasites s’introduisent, cela peut être très gênant. Une ministre danoise, Mme Helle Degn, venait à peine d’entrer en fonction quand elle a dû présider une réunion internationale. S’exprimant en anglais, elle a voulu dire : "Excusez-moi, je ne connais pas bien le dossier, je viens tout juste d’entrer en fonction" et elle a dit : "I’m at the beginning of my period" [3], ce qui veut dire : "Je suis au début de mes règles". Tout le monde a compris, mais son prestige en a pris un sacré coup.

Quand on parle une langue étrangère, on a souvent l’air moins intelligent qu’on n’est. Donc si je vous dis je remercie à vous, vous me comprenez, mais je ne suis pas perçu comme celui que je suis vraiment, il y a quelque chose de faussé entre nous. Un des avantages de l’espéranto, c’est qu’il évite ce genre de problème grâce à sa grande liberté lexicale et syntaxique. En espéranto, on peut dire, suivant la structure française "je vous remercie", mi vin dankas, suivant la structure anglaise "je remercie vous", mi dankas vin, et suivant la structure allemande "je remercie à vous" , mi dankas al vi. Comme les trois structures sont également courantes, aucune ne paraît étrange. Autre exemple, concernant, cette fois, les structures lexicales. En français, je peux dire vous chantez merveilleusement, mais je n’ai pas le droit d’appliquer la même structure aux concepts ‘musique’ et ‘beau’ : vous musiquez bellement est compréhensible, mais incorrect. En espéranto, de même que vous pouvez dire vi kantas mirinde "vous chantez merveilleusement", vous pouvez dire vi muzikas bele ou vi bele muzikas. Autrement dit, l’enfant qui apprend l’espéranto apprend à exprimer sa pensée selon des formes beaucoup plus variées que dans n’importe quelle autre langue, et ce sans faire l’expérience pédagogiquement défavorable de la faute. Il y a élargissement du sens linguistique et de la créativité langagière sans sensation d’échec.

C’est extrêmement agréable et encourageant. Je peux en témoigner. L’espéranto a été ma première langue étrangère, c’est lui qui m’a donné le goût des langues.
Un autre avantage psychologique de l’espéranto est qu’il n’oblige pas à revêtir une autre identité. Apprendre à prononcer l’anglais, c’est apprendre à singer les Anglo-Saxons. Beaucoup de jeunes qui ont physiquement tout ce qu’il faut pour le prononcer convenablement n’y arrivent pas à cause d’un blocage psychologique. Pour imiter la prononciation anglaise, il faut renoncer à ses habitudes françaises dans la manière de placer la langue, les lèvres, le voile du palais, etc. C’est souvent vécu comme une perte d’identité. En espéranto, tout le monde a un accent étranger, et des variations très grandes de prononciation sont considérées comme tout à fait normales. L’expérience prouve que contrairement à ce qui se passe avec l’anglais, elles ne nuisent pas à la compréhension, pour des raisons de phonétique qu’il serait trop long d’exposer ici. Autrement dit, l’espéranto avant une autre langue, c’est comme les gammes avant le concert, comme la gymnastique avant le ski, c’est un moyen de prendre au sérieux l’articulation entre deux systèmes rigides et arbitraires. L’expérience prouve que c’est un moyen efficace. Une classe qui fait un an d’espéranto suivi de cinq ans d’allemand arrive au même niveau, en allemand, qu’une classe qui a fait six ans d’allemand. Elle n’a rien perdu.

Si nos autorités, nos représentants au Parlement européen et dans les parlements nationaux, les partis politiques, l’élite universitaire, économique et culturelle voulaient vraiment que les Européens gardent leur diversité linguistique, conservent leur identité tout en ayant un accueil tolérant pour les identités différentes, élargissent leurs horizons culturels et communiquent entre eux, quel que soit leur pays, avec la même aisance que dans leur langue maternelle, ils reconnaîtraient que le trilinguisme "langue maternelle — espéranto — autre langue" se présente comme la seule solution réaliste. C’est la conclusion à laquelle on aboutit lorsqu’on regarde de près comment les choses se passent en réalité. J’insiste sur cette obligation de regarder la réalité parce que le discours sur les langues tel qu’il se déroule dans les ministères, les instances européennes et les médias ne se fonde pratiquement jamais sur l’étude du réel. Il minimise l’importance du handicap linguistique dans la vie courante, il minimise terriblement la difficulté des langues, il fait une énorme place au y a qu’à et il fait comme si l’espéranto était une idée, un projet et pas une réalité linguistique facile à observer.

La formule que je propose est donc la seule réaliste sur le plan du contenu, sur le plan technique, si l’on peut dire. Malheureusement, je crains qu’elle ne soit pas encore réaliste du point de vue socio-politico-psychologique. D’une part, les forces sociales qui poussent au monopole de l’anglais sont extrêmement puissantes. Elles ont à voir avec le pouvoir, avec la situation sociale, avec des intérêts économiques, mais aussi avec des facteurs aussi influents que la mode et le snobisme. D’autre part, il y a une résistance tenace à ouvrir le dossier "espéranto". C’est un domaine où les gens haut placés, mais aussi, souvent, les journalistes, et beaucoup de linguistes, jugent sans étudier les faits, comme s’ils savaient d’avance tout ce qu’il y a à savoir, comme si on pouvait se faire une idée de la nature et du fonctionnement de l’espéranto, ainsi que de la culture qui lui est associée [4], sans se documenter et sans observer comment il se présente là où il est utilisé.

Pourtant, l’enjeu est énorme, tant en ce qui concerne les valeurs que représente la diversité linguistique que l’égalité entre les peuples, et donc la démocratie. Beaucoup ont conscience de cette importance de l’enjeu. Mais ceux qui prennent la peine de se renseigner sérieusement sur les différents moyens d’y faire face, en étudiant comment les choses se passent en pratique, et en faisant les comparaisons sans lesquelles on ne peut avoir une vue objective de la réalité, sont, hélas, extrêmement peu nombreux.

Heureusement, comme disait Lincoln, on peut cacher une partie de la vérité à une partie de la population une partie du temps, mais on ne peut pas cacher toute la vérité à toute la population tout le temps. Une prise de conscience peut donc intervenir de façon inattendue et une fois la prise de conscience effectuée les choses peuvent aller très vite. Qui sait si, en proclamant l’an 2001 "Année européenne des langues", le Conseil de l’Europe n’a pas pris l’initiative qu’il fallait pour stimuler enfin la recherche consciencieuse de la vérité, et donc des solutions sortant des sentiers battus ?

Claude Piron