Dans la série “Les espérantistes suisses se distinguent“, Furio GABRIELLI

Publié le samedi 1er mai 2004 par admin_sat , mis a jour le vendredi 1er octobre 2004

Il vient au monde en 1927 à Viareggio (Italie) ; bon écolier en classes primaires, il ne fait presque point d’école secondaire à cause de la guerre ; à l’âge de 17 ans il est mis dans un camp d’esclavage en Allemagne ; après la guerre il reprend les études « en privé » ; bourse
à l’université de Birmingham ; dottore in Lingue e Letterature moderne à l’université de Pise à 27 ans. La philologie romane l’attire, mais l’assistanat est miséreux, il opte pour une carrière dans une société multinationale.

Il travaille en Italie, dans cinq pays africains puis à Genève. Professeur, vingt ans directeur du Département d’Italien à l’École d’Interprètes de l’université de Genève, il réagit contre l’impérialisme linguistique de l’anglo-américain et combat le « virus du polyglottisme
aculturel » qui sévit à Genève, soit le polyglotte inculte.

Membre de l’AIS (Akademio Internacia de Sciencoj), M. Gabbrielli s‘efforce de former ses étudiants à traduire en italien des textes « à haute densité de pensée » écrits en langue étrangère. Pour ce faire il se sert de la structure de l’Espéranto comme d’un jeu génial pour initier les étudiants à la linguistique dès leur première année. Ensuite il passe à la traduction de textes de philosophie et d’économie.

Avec leur langue maternelle devenue « langue de culture », les étudiants italiens excellent. Leur italien est idoine pour traduire des pensées « hautes » écrites en langue étrangère.

Les compliments ne manquent pas, une langue continentale, l’italien, est revalorisée, à l’abri de la colonisation, voire de l’aliénation culturelle.
Cela ne plaît pas à tous les professeurs. M. Gabbrielli fait alors venir Claude Piron pour une conférence. Ex-traducteur à l’ONU et espérantiste prestigieux, il ne se lasse depuis de longues années de proposer l’Espéranto comme langue de l’ONU pour des raisons d’économie, de culture et de sauvegarde des langues nationales. Les étudiants applaudissent, ils veulent en savoir plus, les profs restent muets, embarrassés. Pas la moindre objection. Le malaise se fait bruyant. Les étudiants ridiculisent un diplôme universitaire qui ne servira qu’à « traduire des menus de restaurant ». Ils ne veulent pas devenir des « analphabètes en plusieurs langues ». Un chapitre de mémoire a carrément pour titre
« Universitaires imbéciles ? » où l’auteure explique pourquoi « pas tous », Umberto Eco à l’appui. Mais même devant l’insolence, personne ne bouge. Le silence est de rigueur.

L’étudiante est diplômée en toute vitesse pour qu’elle disparaisse (elle fera une excellente carrière à l’ONU).

Durant une quinzaine d’années, M. Gabbrielli a passé plusieurs mois par an dans les grands espaces du nord de la Finlande. Chasse et pêche, son paradis. Son guide était un garde forestier qui avait appris l’Espéranto
tout seul en six mois. La langue finnoougrienne lui est restée étrangère, mais la beauté de ces lieux lui est entrée dans le sang.

Le Kalevala, qu’il lit en Espéranto de temps à autre, figure dans sa bibliothèque au même titre que l’Iliade et l’Odysée, qu’il lit en italien. Ĝis revido ! (au revoir !)

Mireille Grosjean