Après l’euro, l’espéranto ?

Publié le lundi 14 janvier 2002 par admin_sat , mis a jour le dimanche 8 août 2004

L’homme qui continue de défier Babel

Ce regard paisible et généreux de Zamenhof donne l’impression que, quelque part, il conserve ce sourire léger des gens pour qui la démonstration est faite qu’il avait raison. Ce n’est pas l’expression arrogante des fondateurs d’empires — ceux qui continuent la même chose en pire ! — dont les "victoires" ont une odeur de charniers, l’aspect de villes en ruines et de populations mutilées au physique comme au moral.

Face à Babel, le spectacle qu’offre le monde, et plus particulièrement l’Union européenne, est pitoyable.

On patauge dans les problèmes de langues. On sauvegarde les méfaits de Babel et on en détruit les richesses. On communique mal et à grands frais. Des langues s’étiolent. La lutte contre l’analphabétisme et l’illettrisme piétine parce que l’on met tout dans un seul et même panier : celui d’une langue glottophage qui mobilise des moyens financiers énormes et la plus grande partie du corps enseignant de tous les pays d’Europe et du monde pendant que le moins européen des pays de l’Union engrange les profits. Dès 1978, le quotidien "International Herald Tribune" pouvait déjà titrer un article triomphal : "English is a Profitable Export !"
Ça se passe comme à Panurge. A la question "Ne faisons-nous pas fausse route ?", la réponse est "Mêêê..." : "Mêêê, il n’est point de salut sans l’anglais" ; "Mêêê, laissons les faits se faire !", "Mêêê, qu’est ce que ça rapporte, « votre » espéranto" ?

Pensée unique

Dans un ouvrage intitulé "Linguistic Imperialism" [1] (Oxford University Press), qui mériterait d’être traduit dans toutes les langues et porté à la connaissance du monde entier, le professeur Robert Philippson, qui enseigne l’anglais à l’Université de Roskilde (Danemark), dévoile un document autour duquel le silence a été particulièrement bien entretenu depuis maintenant quarante ans : l’"Anglo-American Conference Report 1961" [2]. Les chicanes du GATT, les sommets de Rio et de Kyoto, l’affaire des brevets, c’est bien peu de chose à côté des conséquences qui résultent et résulteront d’un examen trop superficiel de tous les aspects du problème par ceux qui ont fait et continuent de faire notre politique linguistique. C’est extrêmement grave.

La démocratie est en jeu.

Il apparaît que la propagation de l’anglais ne vise pas seulement à remplacer une langue par une autre mais à imposer de nouvelles structures mentales : "une autre vision du monde" : "l’anglais doit devenir la langue dominante" ... "la langue maternelle sera étudiée chronologiquement la première mais ensuite l’anglais, par la vertu de son usage et de ses fonctions, deviendra la langue primordiale" ..."Le rapport proclame que ce Centre [de l’anglais] a le monopole de langue, de culture et d’expertise, et ne devrait pas tolérer de résistance contre le règne de l’anglais"... "Si des Ministres de l’Éducation nationale, aveuglés par le nationalisme [sic] refusent.... c’est le devoir du noyau [dur ?] des représentants anglophones de passer outre".

Pionniers de l’euro

PROMEURO [3], association des citoyens européens pour la promotion de la monnaie européenne, a trouvé la preuve que les premières traces d’un appel de citoyens pour "l’introduction d’une monnaie européenne unique" émanaient de milieux espérantistes. En fait, l’"Enciklopedio de Esperanto" [4] indique qu’à l’origine de cette démarche se trouvait Josef Zauner qui, dès 1921, fonda à Leipzig la maison d’édition "U·E" (sigle espéranto de "États-Unis d’Europe") préconisant déjà non seulement une monnaie européenne, mais la fondation d’"États-Unis d’Europe" (déjà évoquée par Zamenhof en 1915 dans son "Appel aux diplomates") avec l’espéranto comme langue européenne. [5]

Les dés sont pipés

S’habituer à une nouvelle monnaie ne demande pas beaucoup de temps, à part pour certaines personnes âgées.

Il en est tout autrement pour une langue pleine de pièges et d’embûches que certains veulent imposer non seulement à l’Europe, mais au monde entier. Il ne coûte rien aux Britanniques d’apprendre l’anglais et d’accéder à une réelle maîtrise de ses subtilités.
Le président Jacques Chirac a lui-même dit a des jeunes ("Mon Quotidien", 25.09. 1997") qu’il n’utilisait l’anglais que pour parler à ses amis mais jamais pour traiter d’affaires sérieuses.
Or, sans que nos représentants ne posent la moindre question, les autorités nationales et européennes préparent psychologiquement des centaines de millions d’Européens à traiter de tout dans une langue qui n’est pas la leur. C’est du conditionnement

Des pays investissent, depuis déjà très longtemps, une somme énorme de moyens humains, matériels et financiers pour tenter d’habituer leurs citoyens à l’usage de l’anglais, des moyens qui font défaut à ceux-ci pour acquérir des connaissances indispensables dans leur vie professionnelle. On manque d’artisans mais on a des bredouilleurs d’anglais en masse. Pour parvenir à un niveau d’élocution qui ne les placera pas à égalité avec des natifs anglophones, ils auront besoin, à grands frais, non point de quelques jours ou semaines comme pour s’habituer à l’euro, mais de nombreuses années. Les natifs anglophones pourront s’approfondir dans une carrière intéressante et valorisante et même s’accaparer les organes de pouvoir : ils seront les premiers.

Curieusement, Mme Nicole Fontaine, qui avait promis de répondre à toutes les questions sur des forums électroniques, reste muette sur cette question essentielle alors que beaucoup d’internautes l’interrogent et alors qu’elle a traité de problèmes autrement moins lourds de conséquences.

Certains n’ont pas encore compris que les dés sont pipés. Et que penser des peuples dont les langues sont beaucoup plus différentes de l’anglais que la majorité des langues d’Europe ?

Henri Masson