Dis donc, Laurent !

Publié le sabato 9a septembro 2006 , mis a jour le mardo 12a septembro 2006

Chiche ?

Voilà une expérience qui intéresserait beaucoup de monde ! S’il a raison, le risque est nul pour lui. Et ce sera formidable pour toi et France 2 ! Aurait-il été viré d’Europe 1 ?

Le 29 juin, Bénichou s’est défendu de s’être moqué de l’espéranto alors qu’il a émis un rire exprimant sans ambiguïté le mépris — le rire de celui qui se réjouit des difficultés qu’a dû et que doit surmonter l’espéranto. Puis il a ajouté, ce qui reflète fidèlement le fond de sa pensée : "C’est une merde !". Il prend vraiment le public et les auditeurs, y compris toi-même et ton équipe, pour des demeurés.

Ne t’es-tu jamais demandé pourquoi les gens ont des réactions aussi stupides lorsqu’il s’agit de l’espéranto ? Ils rappellent le comportement et les commentaires de ceux qui allaient voir des expositions du début du siècle dernier où l’on montrait des indigènes des colonies.
Certains ont tenté de faire de l’esprit, y compris Philippe Geluck, habituellement plus subtile lorsqu’il donne la parole à son Chat. C’est ce qui se produit chez bon nombre de personnes habituellement intelligentes quand elles traitent de choses qu’elles ignorent. J’en suis peiné pour Philippe que j’aime bien.

En passant, je te remercie de laisser entendre que tu es incapable de te mesurer à un natif anglophone. As-tu pensé que, contrairement à ce que toi et trop d’autres contemporains croient communément, l’anglais n’est pas une langue INTERNATIONALE ? Que c’est en premier lieu LA langue NATIONALE d’un certain nombre de pays ?

Ne pas comprendre la différence, c’est ne pas comprendre que l’on s’engage dans un jeu truqué, dans une course à l’infériorité. Et pendant ce temps, les missionnaires de Bush sont à l’oeuvre pour enseigner la langue de l’inéquité, pour faciliter l’organisation du pillage des pays pauvres, néanmoins riches en ressources ou représentant un intérêt stratégique, la fuite des cerveaux avec promesse, aux laissés pour compte qui vivent l’enfer sur terre, d’une récompense au ciel après la mort.

Pourquoi ne pas inviter le professeur François Grin, l’auteur d’un rapport commandé par le Haut Conseil d’évaluation de l’école et publié sur le thème de L’enseignement des langues étrangères comme politique publique ?

Tu y découvrirais, par exemple, que : ” Le recours à l’espéranto est donc dans l’intérêt évident de plus de 85% des citoyens européens, surtout après l’élargissement survenu en 2004”, ou encore que l’hégémonie de l’anglais (à laquelle tu participes, même si c’est sans enthousiasme !) a pour conséquences :

1) une position de quasi-monopole sur les marchés de la traduction et de l’interprétation vers l’anglais, de la rédaction de textes en anglais, de la production de matériel pédagogique pour l’enseignement de l’anglais et de l’enseignement de cette langue ;

2) l’économie de temps et d’argent dans la communication internationale, les locuteurs non-natifs faisant tous l’effort de s’exprimer en anglais et acceptant des messages émis dans cette langue ;

3) l’économie de temps et d’argent pour les anglophones, grâce au fait qu’ils ne font plus guère l’effort d’apprendre d’autres langues ;

4) le rendement de l’investissement, dans d’autres formes de capital humain, des ressources que les anglophones n’ont plus besoin d’investir dans l’apprentissage des langues étrangères ;

5) la position dominante des anglophones dans toute situation de négociation, de concurrence ou de conflit se déroulant en anglais”.

Rire de l’espéranto tout en se faisant ainsi couillonner, tout en étant fier de l’être, c’est révéler son inconscience.

J’aime l’humour. Je ne suis pas contre l’auto-dérision et le fait que l’on se moque des travers de certains espérantistes, mais pourrais-tu veiller à ce que, dans l’émission ”On va s’gêner”, il y ait plus d’humour et moins de connerie ? A ce que l’humour soit élevé bien au-dessus du niveau des tinettes où l’a descendu le sieur Bénichou, la honte du journalisme ?

Après cet entracte, et pour te montrer que l’humour peut aussi se faire autour des problèmes de communication linguistique et de l’anglais, voici une anecdote rapportée dans une bonne lecture — “Le Canard Enchaîné“ (3 nov. 1999) — avec un commentaire de son cru : Un transporteur routier français explique à “ Libération “ (29.10.1999) le casse-tête de la concurrence allemande sur les routes française : "comment voulez-vous qu’une autorité quelconque vérifie un tracteur allemand traînant une remorque italienne, avec du fret espagnol, entre Paris et Amiens, avec un chauffeur qui parle une langue slave ou l’allemand et présente des papiers en alphabet cyrillique ?"

“Réponse : en lui collant une contredanse en espéranto !“

En 1999, Louis Schweitzer, l’ex-PDG de Renault, avait reçu le prix de la Carpette anglaise pour avoir décidé d’utilisation exclusive de l’anglais dans les relations entre les cadres de sa multinationale. En avril 2001, l’AFP informait qu’il abandonnait cette voie : ”La langue a été une difficulté un peu supérieure à ce que nous pensions. Nous avions choisi l’anglais comme langue de l’alliance mais cela s’est avéré un handicap avec un rendement réduit de part et d’autre.

Le 21 août 2002, “Le Canard Enchaîné“ rapportait que la chute en Bourse du titre Vivendi avait pour origine la conférence de presse téléphonique ”calamiteuse” tenue en anglais le 14 août par Jean-René Fourtou après la présentation des comptes de Vivendi : ”Loin de rassurer les analystes, la presse et les épargnants, les déclarations du nouveau président du groupe, faites en anglais, ont accéléré la chute du titre en Bourse”. L’explication suivante fut donnée le lendemain par un collaborateur de Fourtou : “Comme il ne maîtrise pas parfaitement l’anglais, il a pu parfois manquer de nuance et s’exprimer trop brutalement.”. Le Canard ajoutait que l’usage de la langue anglaise était imposé depuis la fusion entre Vivendi et Scagram, en 2000, et que les conseils d’administration du groupe se tenaient en anglais ”avec d’inévitables cafouillages”. Un administrateur avait confié : “Je ne veux pas vous induire en erreur, mais les conseils se tiennent désormais en anglais, et parfois je ne comprends pas dans le détail les décisions qui y sont prises.” Commentaire du Canard : ”C’est peut-être pourquoi le conseil d’administration n’a jamais rien trouvé à redire à la politique de Messier”.

Plus sage, si l’on en croit l’entretien qu’il avait accordé à “L’Expansion” (27.06. 2005) : Jean-François Dehecq, PDG de Sanofi-Aventis, avait répondu à une question concernant la langue utilisée par son groupe : ”Ce n’est sûrement pas l’anglais. Une multinationale est une entreprise dans laquelle chacun peut parler sa langue. Dans une réunion, c’est du cerveau des gens dont on a besoin. Si vous les obligez à parler anglais, les Anglo-Saxons arrivent avec 100 % de leurs capacités, les gens qui parlent très bien, avec 50 %, et la majorité, avec 10 %. À vouloir tous être anglo-saxons, il ne faut pas s’étonner que ce soient les anglo-saxons qui gagnent.

Devant des jeunes, pour “Mon Quotidien”, (25.09. 1997), le président Chirac a lui-même dit qu’il n’utilisait l’anglais que pour parler à ses amis mais jamais pour traiter d’affaires sérieuses. Après l’attentat du 11 septembre 2001 contre le WTC, à New-York, après avoir prononcé quelques mots en anglais, il s’était excusé de poursuivre en français après avoir avoué : "My English is not very good".

Ainsi, toi-même et nous tous, nos petits patrons ou super-patrons, les enfants, les jeunes, nous avons été ou sommes contraints de dilapider un temps et des sommes considérables pour en arriver là ! Et ceci alors que, par son courage intellectuel, un ancien président de la Chambre de Commerce de Paris, André Baudet, dont le nom n’est pas oublié encore aujourd’hui, avait vaincu son scepticisme par rapport à l’espéranto au point de l’apprendre et de le préconiser pour le commerce. Tout ceci est totalement inconnu de beaucoup d’intellectuels, de journalistes, d’enseignants, de décideurs, de chefs d’entreprises, d’élus.

A défaut d’inviter François Grin pour demander des explications, tu pourrais toujours t’adresser à jOmO (Jean-Marc Leclercq, prononcer ”yomo) pour présenter son dernier CD : v. p. IV et 11 de “La SAGO“). Tu découvriras et feras aussi découvrir que l’espéranto, non seulement ça se parle, mais ça se chante, et depuis fort longtemps !

Et il saura mettre de l’ambiance sur le plateau, de préférence sur celui de ton émission télévisée ”On a tout essayé” qui, en fait, n’a encore jamais essayé... l’espéranto.

En conclusion, pendant que bavent les crapauds, en dépit des entraves, l’espéranto poursuit sa progression. Pierre Bénichou n’a pas acheté sa connerie car, s’il lui avait fallu la payer, il en aurait moins pris.

Henri Masson