Forum Social Européen 2003, Paris-Saint-Denis - Un autre monde est-il possible sans une autre langue ?

Publié le lundi 23 août 2004 par admin_sat

Rédiger un rapport sur l’ensemble des manifestations du Forum Social Européen ne peut être l’affaire d’une seule personne car les lieux où se trouvaient les stands des associations, où se tenaient des séminaires, des ateliers et des conférences, étaient très dispersés, même trop, si bien que les personnes qui ont perdu du temps dans les moyens de transport ou ont même longuement peiné à trouver le lieu pas toujours bien indiqué n’étaient pas rares... Cependant, par chance, grâce aux efforts de Vincent Charlot, et surtout de René Ballaguy avec l’aide d’Émile Mas et d’autres militants, très rares ont certainement été les participants du Forum qui n’ont pas vu ou entendu le mot ESPERANTO, ceux qui n’ont pas appris que de grandes possibilités se trouvent dans cette langue pour créer les bases d’un autre monde. La relation à l’idée de l’espéranto a presque toujours été sympathique, parfois même enthousiaste, rarement moqueuse, désagréable ou hostile.

Les possibilités de s’informer ne manquaient pas puisque sous une grande tente, à Saint-Denis, dans la banlieue nord de Paris, dans laquelle 70 associations et organisations étaient réunies, outre le stand de SAT et SAT-Amikaro, il y avait aussi celui de Europe-Démocratie-Espéranto avec Espéranto 95. Une très bonne collaboration a d’ailleurs eu lieu entre les deux stands. Dans la partie nord de Paris, à La Villette, il y avait le stand d’Espéranto-France, de JEFO (les jeunes) et de FET (Fédération Espérantiste du Travail). On peut ajouter qu’à ce même endroit se trouvait le stand des Citoyens du Monde <http://www.recim.org>, c’est-à-dire un mouvement qui fait usage de l’espéranto.

L’espéranto a eu du succès surtout auprès d’un public jeune, sans préjugés et très enclin à la découverte. Il y avait, entre autres beaucoup d’Espagnols. Il est intéressant de noter que plusieurs associations ont demandé notre collaboration soit pour l’enseignement de la langue, soit pour la traduction de documents (réticulaires ou sur papier), ou pour travailler sur un terrain défini. Parmi elles, il y avait l’ Association pour la Promotion et la Recherche en Informatique Libre <http://www.april.org> qui travaille entre autres pour le système d’exploitation libre Linux dont l’esprit est totalement conforme à celui de l’espéranto, la langue anationale et sans monopoles. Tout à côté se trouvait l’Association des Femmes Iraniennes en France qui s’efforce de faire connaître la situation et le sort peu enviables des femmes en Iran sous le régime actuel. En face, il y avait le stand du Groupe Français d’Éducation Nouvelle (GFEN : <gfen@gfen.asso.fr> <http://www.gfen.asso.fr> dont l’action et les buts d’émancipation sans frontières sont en parfaite concordance avec ceux de SAT. Des contacts très intéressants ont été établis aussi avec la Confédération Paysanne, qui, par ailleurs, cherche des volontaires pour le fauchage d’OGM au printemps prochain.

Un élément important du programme, à l’initiative de l’Association Hongroise d’Espéranto, d’EDE et d’espéranto 95 a été le séminaire qui s’est tenu le vendredi après-midi à Bobigny. Il était annoncé dans le programme officiel avec interprétation simultanée pour l’espéranto, l’anglais, le français et l’espagnol. Il a réuni entre 40 et 50 personnes. Le président de l’Association Hongroise d’Espéranto, Oszkar Princz, a parlé en espéranto des problèmes des langues dans l’Europe et du rôle possible de l’espéranto ; Christian Garino de la nouvelle constitution européenne et des langues, de la Journée européenne à Strasbourg (avec un projet de manifestation sur le Pont de l’Europe le 9 mai 2004) et des plans d’EDE. Comme il manquait des interprètes pour l’italien vers les langues mentionnées et de celles-ci vers l’italien, le professeur Pantaleo Rizzo, spécialiste en économie, a bien voulu faire sa conférence en français, qu’il maîtrise assez bien, sur le thème "L’espéranto et la construction d’une identité commune ; proposition pratique dans laquelle l’espéranto jouera un rôle."

D’après un rapport de Jacques Schram (Belgique), président du Comité exécutif de SAT, des conférences ont eu lieu aussi aux sièges d’Espéranto-France et de SAT-Amikaro. Au siège de SAT-Amikaro, il a lui-même parlé du besoin absolu d’une langue universelle pour faire progresser le sentiment d’une solidarité humaine sans frontières. Ensuite, Wilhelm Lutterman a présenté Le Monde Diplomatique, l’histoire de ce mensuel puis évoqué le nombre croissant d’articles publiés en traduction espéranto, d’abord sur ses pages personnelles et, plus dernièrement, sur les pages réticulaires du journal lui-même, si bien que la Langue Internationale est reconnue de fait parmi les pages en diverses langues de ce journal sous <http://eo.mondediplo.com/> . Claude Longue-Épée a présenté les plans de l’association qu’il préside, Espéranto-France, pour fêter le centième anniversaire du Congrès de Boulogne-sur-Mer afin que le congrès de 2005 soit celui de l’espéranto et de tous les espérantistes. Au siège d’Espéranto-France, Renato Corsetti, le président de l’Association Universelle d’Espéranto (UEA) a expliqué pourquoi rien ne s’opposait à ce que les membres de l’UEA participent à des événements tels que les forums sociaux. Wera Blanke, d’Allemagne, a traité le sujet "ATTAC et l’espéranto".

En ce qui concerne l’écho extérieur au Forum, des allusions à "Babel", indiquent que les problèmes de compréhension linguistique étaient très perceptibles. A Nice, Éric Benech a pu constater, dès le premier jour, que TF1, dans son journal très écouté de 20h, avait fait allusion a une véritable Babel. Dans son journal télévisé de 19h 30, France 3 a montré une foule devant laquelle se trouvait une grande banderole avec le mot ESPERANTO.

Mais cette situation babélique était prévisible depuis longtemps puisque, comme unique langue de travail et comme remède préventif, l’association SAT, qui est en soi un Forum Social avant la lettre, avait adopté dès sa fondation, à Prague, en 1921, la langue anationale espéranto qui ne privilégie aucune nation, aucune puissance ou groupe humain.

Durant sa présence au stand de SAT et de SAT-Amikaro, Ronald Lynn, de Londres, a eu l’occasion de parler à un journaliste irlandais qui a exprimé le besoin d’une langue internationale que l’anglais, à son avis, remplit de façon insatisfaisante. Il pouvait en effet être constaté que, alors que très peu de participants du forum s’arrêtaient devant les stands des organisations qui ne se présentaient qu’en anglais, les deux stands d’espéranto de Saint-Denis ont été très visités, y compris par des étrangers, en particulier par beaucoup d’Espagnols. Le prospectus en six langues, dont le texte apparaît en section "Social" de <http://www.esperanto-sat.info>, a été particulièrement utile car, parmi ces six langues, (espéranto, anglais, allemand, français, espagnol, néerlandais), tous les visiteurs en connaissaient pratiquement plus ou moins une. Parmi les espérantistes étrangers qui ont visité nos stands se trouvaient entre autres un Italien, un Suédois (Dan Levitan, de Stockholm), un Bulgare (Metodi Markov)...

Devant le stand de la Ligue des Droits de l’Homme, un militant disait très justement à une visiteuse que nous, Occidentaux, ne devons pas projeter sur le monde la façon dont nous le voyons. Pourtant, jamais, malgré que les espérantistes l’aient signalé, la Ligue n’a daigné étudier en profondeur le dossier de la communication linguistique entre les peuples dans lequel se trouvent de nombreuses atteintes contre la liberté et le principe d’égalité des droits. A cause de cette attitude, une langue occidentale s’impose dans le monde entier et elle véhicule, propage, "projette" sur le monde entier la conception occidentale du monde et même, plus grave, la conception du monde d’une nation dominante. Un véritable déluge de ses productions inonde et pollue le monde tout comme les mentalités.

Des insuffisances ont pu être constatées dans notre organisation et notre travail d’information, mais les résultats sont malgré tout très encourageants. Ce milieu ressent véritablement et comprend mieux que d’autres le besoin d’une langue commune anationale [non-nationale]. L’esprit des Forums Sociaux consiste justement dans l’échange sans frontières d’expériences et d’idées, or il est possible de constater que la barrière des langues constitue une sérieuse entrave en cela. Il est clair que la présence de l’espéranto sera de plus en plus souhaitable et même nécessaire dans ce cadre. Le prochain Forum Social Européen aura lieu à Londres. Après cette expérience, et les expériences précédentes vécues par certains d’entre nous à Porto Alegre et à Florence, serons-nous encore plus visibles et efficaces ?

Le combat contre la mondialisation sauvage condamnable, le combat pour que la mondialisation inévitable soit à visage humain, c’est un chantier gigantesque qui exige une bonne communication linguistique et un bon échange d’informations. Or, avant d’entreprendre quoi que ce soit, pour ne pas aller tout droit échec, il faut commencer par se comprendre et s’entendre. A l’époque des Forums sociaux sans frontières, le moment est venu de mettre au service de l’émancipation des peuples l’outil linguistique sur lequel les régimes totalitaires et le totalitarisme de l’argent ont maintenu une chape de plomb.

Henri Masson

Secrétaire Général de SAT-Amikaro
Coauteur, avec René Centassi, ancien rédacteur en chef de l’AFP, de "L’homme qui a défié Babel", paru simultanément en seconde édition en français et en première édition en traduction espéranto ( décembre 2001. Éd. L’Harmattan, Paris)