Kálmán Kalocsay, l’artiste de la traduction

Publié le dimanche 3 décembre 2006

On rencontre souvent l’idée que l’espéranto ne serait qu’une langue pour touristes, capable d’exprimer, tout au plus, les besoins les plus quotidiens. Or, au cours de son existence centenaire, l’évolution de cette langue véhiculaire, connue pour sa simplicité, a atteint un degré tel que l’espéranto peut désormais être nommé une langue riche de littérature.

Zamenhof, l’initiateur de l’espéranto, était conscient du fait que cette langue, tout comme les langues nationales, ne pourrait vivre et se développer que par sa littérature. C’est la raison pour laquelle, tout en donnant l’exemple, il exhortait sans cesse ses adeptes à s’atteler à des tâches de traduction. Il soulignait ainsi l’importance de la traduction : les artisans de la langue ne peuvent pas se contenter d’accomplir des tâches faciles : ce sont les difficultés rencontrées au cours de la traduction qui font découvrir les lacunes à combler dans les capacités d’expression de notre langue.

Voilà donc, tout indiqué, le chemin que suivirent les artisans de l’idiome international, avec Kálmán Kalocsay en tête, accompagnant les progrès de la langue. Plusieurs tragédies de Shakespeare, les épopées d’Homère, la Comédie Divine de Dante, les pièces de Molière et de Schiller, La tragédie de l’homme de Madách, les drames d’Ibsen, les romans de Tolstoï, les contes d’Andersen, des anthologies internationales, les œuvres de Balzac, de Goethe, de Baudelaire ou de Heine, des perles de la littérature contemporaine - ce sont autant de réussites qui jalonnent le chemin parcouru.

Parmi toutes ses activités littéraires, Kalocsay considérait la traduction, notamment la traduction poétique, comme la tâche par excellence qu’il se devait de parfaire. Effectivement, enrichir et affiner une langue au moyen de traductions n’est certes pas le plus facile des travaux littéraires. L’écrivain qui crée son propre texte sans contrainte aucune peut, au contraire, toujours éviter les expressions trop complexes en puisant dans le vocabulaire usuel de la langue.

Comme tout traducteur digne de ce nom, Kalocsay s’efforça de transplanter fidèlement, autant que faire se peut, contenu et atmosphère de l’original. Il prenait son mal en patience pour trouver les expressions qui pouvaient reproduire, jusqu’aux moindres nuances, le texte qu’il traduisait. Exemplaire, son activité de traducteur — décriée par certains comme "une manie des nuances" — a apporté une contribution majeure à la maturation de la langue espéranto.

Y-eut-il jamais une difficulté que le traducteur Kalocsay évitât ? Il s’est même fixé l’objectif de conquérir l’Inferno de Dante, entreprise que plus d’un jugeait impossible, à l’instar de l’épouvante qu’inspire l’inscription au-dessus des portes de l’enfer : Lasciate ogni speranza, voi ch’entrate !

Le défi principal pour tout traducteur de l’Enfer, c’est d’essayer de conserver la métrique de l’original. Bien sûr, c’est cette difficulté même qui a attisé l’ambition de Kalocsay, et sa traduction réussie fut ainsi saluée par le linguiste italien Bruno Migliorini : "L’Enfer interprété par Kalocsay est une version digne des tercets de Dante."

Cette traduction est peut-être la preuve la plus éloquente des capacités littéraires de la langue espéranto.

Les poèmes que Kalocsay a traduits en espéranto proviennent de peuples et d’époques différents.
Recueillis en deux florilèges, ils s’offrent, tels deux bouquets de fleurs, au public international de la langue véhiculaire.

Les volumes de traductions publiés par Kalocsay ont suscité de l’intérêt bien au-delà du monde littéraire espérantiste. Les versions excellentes qu’il donna des Élégies de Rome de Goethe, des Fleurs du Mal de Baudelaire, de La tragédie de l’homme de Madách, des romances de Heine ou de trois drames de Shakespeare (Le roi Lear, Le songe d’une nuit d’été, La tempête) sont autant de preuves des capacités littéraires de l’espéranto et du talent exceptionnel de leur traducteur.

Source : Ada Csiszár : In memoriam Dr. Kalocsay Kálmán (1891-1976). Pp. 34-35.
Traduit en français par István Ertl.

Cette traduction en français peut être lue aussi sur le site du professeur Marc van Oostendorp : <http://www.vanoostendorp.nl/interli...>