“Killer Language” ou langage qui leurre ?

Publié le samedi 10 novembre 2007 , mis a jour le lundi 14 février 2011

Joshua A. Fishman, qui a préfacé l’"Atlas des langues du monde", un ouvrage du professeur Roland Breton paru aux éditions Autrement, est reconnu comme un “grand“ linguiste : “À l’occasion du 40e anniversaire de la revue La Linguistique, une vingtaine d’articles ayant marqué la discipline, signés d’André Martinet mais aussi de grands linguistes tels Georges Mounin, Joshua Fishman, Claude Hagège, Colette Feuillard, Henriette Walter et d’autres, sont repris dans cet ouvrage. (Pour une linguistique des langues"")

Rien n’est donc définitif pour l’anglais, d’autant plus que, selon une dépêche de l’AFP reprise par “Le Monde” : “L’anglais risque d’être détrôné sur la Toile”. Il ne représente en effet plus que 31% des 1,2 milliards d’usagers de l’Internet de par le monde, et il y a une progression forte et rapide du chinois.

Global Europe Anticipation Bulletin” prévoit pour sa part “La fin de l’Anglo-Américain comme langue hégémonique de la modernité.”(1)

Suivant l’angle sous lequel on se place, le “Globish” a un bon ou un mauvais côté : il contribue à corrompre l’anglais, à accélérer son altération, sa décomposition, ce qui peut expliquer la sympathie qu’éprouvent, depuis longtemps, bien des natifs anglophones soucieux de préserver leur langue, pour l’alternative qu’est l’espéranto.

À nous donc, gens de l’avenir et non du passé, que l’on nomme "utopistes" avec condescendance, mépris ou hostilité, de préparer l’après-anglais.

Là où l’anglais passe, les langues trépassent

L’acquisition d’un niveau d’anglais, même seulement pour la simple “débrouille”, exige un temps excessif pour la majeure partie des élèves. Là où l’anglais est enseigné en surdose, il n’y a pas assez de moyens humains et matériels, de temps (donc d’argent) pour enseigner d’autres matières. Vorace en moyens, cet enseignement se fait à leur détriment de toutes les matières, dont les langues.

Dire et répéter que l’anglais est indispensable, incontournable, c’est contribuer à le rendre encore et toujours plus indispensable et incontournable, à détourner l’attention d’une alternative possible. C’est amplifier le déséquilibre au lieu de le réduire. On évolue ainsi vers l’irréversibilité, vers une solution bancale, donc une pseudo-solution, du fait que l’anglais est difficile pour la majorité des populations et même pour les natifs anglophones : “La majorité des étudiants n’ont aucune maîtrise des maths et de la science du fait qu’ils ne peuvent pas comprendre l’anglais." (“Peoples Journal“, 7/9/2006 : “Bad English, bad education”).

Des spécialistes recommandent de dispenser les dyslexiques de l’anglais écrit. C’est par un Anglais, le Dr Pingle Morgan, que la dyslexie a été décrite pour la première fois, le 7 novembre 1896, dans le “British Medical Journal”. Elle frappe en premier lieu les pays de langue anglaise : “il y a deux fois moins de dyslexiques chez les petits Italiens de dix ans que chez les jeunes Américains."(2) L’anglais est une langue qui se prête particulièrement à la confusion des sons. Fondée en 1908 pour la simplification de l’orthographe anglaise, la Simplified Spelling Society (SSS) a lancé une campagne pour ses 99 ans : “L’anglais a beau être la langue la plus universelle, des linguistes jugent qu’elle n’a pas évolué ces 500 dernières années, ce qui explique pourquoi la moitié des anglophones peine à l’écrire.

En Corée, on en est venu à inciser chirurgicalement le frein de la langue des enfants pour les rendre aptes à bien prononcer l’anglais ! (“Los Angeles Times”, 31/03/2002).

Ouverture à la Servitude volontaire

Pourtant formé, selon Karen Hugues, par le Département d’État US, donc “à l’américaine”, Nicolas Sarkozy parle avec peine la langue de ses maîtres, de ceux qui mènent le monde au gré de leurs propres intérêts. Sur Dailymotion une vidéo le montre s’évertuant à la parler. Il n’a pourtant pas fréquenté des écoles de pouilleux...

Quant à Kouchner, il ne manque pas d’occasion pour l’utiliser, même sans aucune nécessité, et il donne ainsi une justification pour rendre inutile le français, comme toute langue autre que l’anglais. En effet, dans “Deux ou trois choses que je sais de nous“ (Robert Laffont), sous un chapitre intitulé “L’anglais, avenir de la francophonie“, il a écrit :
- p.147 - “nouveau venu dans le gouvernement de la République, j’avais été étonné, en 1988, que l’on insistât sur l’usage obligatoire du français pour les ministres.“
-p. 151 - “Après tout, même riche d’incomparables potentiels, la langue française n’est pas indispensable : le monde a bien vécu avant elle. Si elle devait céder la place, ce serait précisément à des langues mieux adaptées aux besoins réels et immédiats de ceux qui la délaisseraient.

Bien trouvé ! De même que le monde a bien vécu avant Kouchner et vivra bien après lui...

Selon “Reuters” (information reprise par “Europe 1” et le “Nouvel Observateur”), Xavier Darcos, Ministre de l’Éducation, a exprimé ainsi son ambition : "Le président de la République m’a donné comme mission de faire de la France une nation bilingue". C’est ce qu’il a expliqué lors d’une visite de l’école primaire Willy Brandt à Élancourt, commune des Yvelines qualifiée de "ville pilote" en matière de techniques de l’information et de la communication à usage éducatif (TICE) : ”Cette ambition implique de grands moyens : je prends donc l’engagement de lancer sur mille sites et d’ici la rentrée 2008 (un) dispositif de visioconférence pour soutenir l’enseignement précoce de l’anglais”. Le plus, curieux est que ce projet a été démenti par le ministère. Mais ça ne s’arrête pas là.

Selon “Le Canard enchaîné” (10-10-2007), Christine Lagarde, ministre de l’Économie, des Finances et de l’Emploi, connue comme étant proche de gens aussi peu recommandables que Dick Cheney et de Zbigniew Brzezinski, rédige et fait rédiger en anglais les notes qu’elle échange avec ses collaborateurs, La voie de la servitude volontaire envers l’empire mafieux est ainsi aplanie par cette ancienne responsable du Center for Strategic & International Studies (CSIS), apôtre du modèle économique ultra-libéral sans foi ni loi dont elle sert les intérêts au sein même du gouvernement français. Et elle fait travailler aussi son cabinet ministériel en anglais. Rien de tel pour faciliter la subordination de l’administration française à ces intérêts.*

L’impérialisme linguistique, contre lequel le professeur Robert Phillipson, un ancien du British Council, met en garde, en particulier dans son ouvrage “Linguistic Imperialism” est bien plus insidieux et moins perceptible que l’impérialisme économique, et surtout que l’impérialisme politique et militaire. Et pourtant, comme le reconnaissait un directeur de chaîne d’écoles d’anglais (p. 8), il en est un vecteur bien plus efficace que des corps expéditionnaires : “Il fut un temps où nous avions l’habitude d’envoyer à l’étranger des canonnières et des diplomates ; maintenant nous envoyons des professeurs d’anglais.

Henri Masson

1. “Quelles langues parleront les Européens en 2025 ?”, 15 mars 2007.
2. "Infoscience" : “La dyslexie, une affaire de langues”, 15 mars 2001.