L’affaire TV5-Europe

Publié le mardi 11 octobre 2005 par admin_sat , mis a jour le mardi 11 juillet 2006

Le 25 mars 2005, à Boulogne-sur-Mer, lors d’un symposium qui a précédé une rencontre internationale commémorant le centième anniversaire de la tenue du premier congrès universel d’espéranto dans cette même ville, l’historien Jean-Claude Lescure a présenté divers aspects de cette langue autour de laquelle il a mené de longues recherches. Il a évoqué d’emblée les pressions énormes qui avaient été exercées pour faire annuler une émission animée sur ”France Culture” par Jean-Noël Jeanneney dont il était l’invité.
Dans cette émission, finalement diffusée le 17 mars 2001 depuis le Salon du Livre, il devait évoquer des faits historiques dont certains sont peu glorieux pour l’État français, entre autres l’épisode durant lequel, de 1921 à 1923, il intervint avec acharnement auprès de la SDN pour que l’espéranto, qui était déjà une langue bien vivante, soit enterré.

Aujourd’hui malmené par l’anglais, le français fait les frais de cette erreur historique.
Il existe bien d’autres procédés, parfois très méchants, souvent plus bêtes que méchants, pour faire passer l’espéranto pour ce qu’il n’est pas : une marotte de rêveurs, un passe-temps, une utopie, un code, etc. Tout y passe !

L’image et la réalité

Un exercice dans lequel les perroquets se distinguent est la répétition, sans se poser de questions, de ce qu’ils ont entendu dire. Il leur arrive pourtant d’être battus par des gens qui ont suivi des études de niveau universitaire. Ainsi, il n’est pas rare de lire ou d’entendre, à propos de l’espéranto, des expressions stupides dans le genre “créé de toutes pièces” ou “fait de toutes pièces” bêtement répétées et tout aussi bêtement admises sans recherche ni réflexion. L’exemple le plus récent nous a été donné le 16 juin 2005 dans “Le Figaro” : “langue créée de toutes pièces“.

Or, ce qui est créé de toutes pièces, c’est l’image qui est donnée de l’espéranto. C’est à la portée de n’importe qui, hormis des analphabètes, de remarquer qu’un texte en espéranto comporte une multitude de radicaux immédiatement compréhensibles qui existaient dans des langues de grande diffusion bien avant l’apparition de l’espéranto, par exemple “gazet”, “polic”, “pont”, “tabl”, “parlament”, “social”, etc. Le radical “dom”, qui apparaît en français dans “domicile”, “domestique” ou “domotique”, vient du latin “domus” et se retrouve dans de nombreuses langues y compris le russe : "dom". L’ouvrage qui permet le mieux de s’en rendre compte est “Langues sans frontières”(1) dans lequel l’auteur, Georges Kersaudy, décrit et compare 29 langues d’Europe sur les cinquante qu’il a été amené à pratiquer durant sa carrière de fonctionnaire international. Entre l’image qui est donnée de l’espéranto et la réalité, il y a un abîme fort bien décrit par Claude Piron dans “L’espéranto : l’image et la réalité”(2).

Le piège

Nous voici, le 9 novembre 1998 à 19h, sur “TV5”, dans l’émission “Voilà Paris” de Marie Talon. Boutros Boutros-Ghali, secrétaire de la Francophonie plaide pour la diversité linguistique et culturelle, évoque le danger de parler la même langue sans en désigner aucune, alors que l’on savait déjà que la véritable menace venait du tout-anglais.
On enchaîne ensuite avec un reportage sur... l’espéranto. Après le reportage, l’animatrice dit que ça n’a pas bien marché ; elle poursuit en interrogeant ainsi Costa-Gavras, le célèbre réalisateur de cinéma : “Monsieur Costa-Gavras, l’espéranto sans doute ne prend pas pour les raisons que M. Boutros Boutros-Ghali nous a exposées précédemment, sans doute parce que vous êtes contre, je crois, vous aussi, une langue unique”.

Ce à quoi réalisateur, piégé, répond sans se douter que l’espéranto, compte tenu des entraves, marche fort bien depuis qu’il y a Internet et n’a jamais eu comme vocation d’être une langue unique mais seconde pour tous : "Absolument, parce qu’une langue unique, c’est comme une religion unique ou comme une philosophie politique unique. Il faut vraiment la combattre parce que ça mène toujours à des catastrophes humaines, économiques et culturelles. Il faut donc plusieurs langues. Il faut que chaque pays ait sa langue et cette proposition de l’espéranto, je trouve aussi que c’est une proposition un peu absurde. Pourquoi une langue unique ? Il faut apprendre des langues. C’est un enrichissement culturel formidable. Pouvoir communiquer avec d’autres personnes dans leur langue..."

C’est donc très grave qu’un personnage aussi engagé pour les Droits de l’Homme et contre le totalitarisme, précisément le réalisateur de “‘Z”, ‘“L’Aveu”, “État de siège”, ait été amené à tenir des propos aussi violents (“il faut vraiment la combattre“) et injustifiés contre une langue dont il ne savait visiblement pas qu’elle est à l’opposé de ce qu’il supposait et que sa diffusion a été entravée et combattue précisément par des régimes totalitaires. Malgré l’aimable réponse de Marie Talon (voir p. III) à la lettre qui figure au dos, il n’y a jamais eu réparation...

Henri Masson

1. Éd. Autrement, collection Frontières.

2. Université Paris VIII, Cours et Études de Linguistique contrastive et appliquée ; à lire sur : <http://satamikarohm.free.fr/rubrique. php3 ?id_rubrique=37>

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Voir aussi :

L’affaire TV5 <http://www.esperanto-sat.info/article703.html>

Les affaires Jospin : <http://www.esperanto-sat.info/article702.html>

L’expérience de Villefranche-sur-Saône : <http://www.esperanto-sat.info/article682.html>