L’alternative démocratique

Publié le dimanche 13 octobre 2002 par admin_sat , mis a jour le dimanche 8 août 2004

Diplômé de l’Université de Cambridge, professeur à la faculté d’une école supérieure de Commerce à Copenhague, Robert Philippson a travaillé plusieurs années au British Council. Auteur de divers ouvrages, dont "Linguistic Imperialism" [1], il soulève la question des langues internationales et des droits internationaux de l’homme dans une brochure qui existe aussi en espéranto.

"Parmi les droits de l’homme, il y a aussi les droits linguistiques. Mais comment se présente la politique linguistique au niveau international ? Robert Philippson attire l’attention sur une discrimination croissante et sur la prise de décision par inertie : on passe sans discuter à l’utilisation de peu de langues, parfois d’une seule, de telle façon que l’évolution semble inévitable. L’auteur voit dans l’espéranto une alternative démocratique."
Telle est la présentation de cette brochure intitulée "Internaciaj lingvoj kaj internaciaj homaj rajtoj" en quatrième de couverture [2].
Fondé dans les années 1930 pour propager l’anglais, le British Council n’a pas ménagé ses peines pour faire croire partout dans le monde qu’il était de l’intérêt de tous d’apprendre l’anglais quand le véritable intérêt était essentiellement celui de... l’Angleterre. Le 12 octobre 1978, le quotidien londonien "The International Herald Tribune" titrait triomphalement un article : "English is a Profitable Export !". Dans "Linguistic Imperialism", Robert Philippson cite le directeur du British Council : "Le véritable or noir de la Grande-Bretagne n’est pas le pétrole de la Mer du Nord, mais la langue anglaise. Le défi que nous affrontons est de l’exploiter à fond." (rapport 1987-1988). Le but du projet "English 2000" a été ainsi défini, de façon parfaitement claire : "exploiter le rôle de l’anglais pour faire avancer les intérêts britanniques en tant qu’étape de la tâche consistant à perpétuer et à étendre le rôle de l’anglais comme langue mondiale du siècle prochain."

Si le temps, c’est de l’argent, il y a d’une part ceux qui encaissent, et, d’autre part, ceux qui déboursent ; ceux qui peuvent se passer d’apprendre des langues autres que leur langue maternelle et ceux qui doivent sacrifier des milliers d’heures qui leur feront défaut pour accroître leurs connaissances dans divers domaines ou se consacrer à des activités qui les tiennent à coeur. C’est donc par centaines de millions que des gens, de par le monde, sacrifient un temps précieux et travaillent ainsi non point pour le roi de Prusse, mais pour la reine d’Angleterre, et ceci en n’ayant qu’une chance minime de pouvoir égaler des natifs anglophones sur le plan de l’élocution. En bref, il y a une minorités (6 à 8% de l’humanité) qui laisse la totalité de l’effort et des coûts aux autres. Certes, pendant qu’ils se creusent la tête sur les pièges multiples de la langue anglaise, ces centaines de millions de gens, et surtout d’enfants aujourd’hui halloweenisés, conditionnés à croire qu’il n’est point de salut en dehors de l’anglais et qu’il n’y a pas lieu de se poser des questions, n’ont pas le temps de s’interroger sur l’impasse vers laquelle certains sont en train de les pousser. Le succès incontestable de ceux qui pilotent cette politique linguistique est de leur avoir fait avaler que l’anglais, langue nationale, est une — et même "la" — langue internationale.
Le grand silence

Robert Philippson cite Abram de Swaan qui, en 1993, écrivait déjà, dans "International Political Science Rewiew" : "Le sujet des langues reste le grand silence de l’intégration européenne. Il y a eu beaucoup de mots sur les lacs de lait et les montagnes de beurre, sur une monnaie unique, sur la libre migration des citoyens de l’U.E. et la limitation de l’immigration pour les étrangers, mais la langue elle-même, dans laquelle on traite de ces sujets, reste en dehors des discussions."
Certains s’imaginent béatement qu’ils ont découvert l’Amérique en s’immergeant dans l’anglais sans se rendre compte que c’est ce à quoi ils donnent improprement le nom "Amérique" qui a découvert leur inconscience, qui en tire profit, en use et en abuse : il ne s’agit pas d’immersion, mais de noyade. Trop souvent perçue comme un fait anodin ou de manière fataliste par une partie importante de la population non informée, désinformée, la domination de l’anglais est une menace.

Une grande partie des décideurs et des élus, aussi bien de gauche que de droite, du centre que des extrêmes, est impliquée dans ce marché de dupes. Par rapport à cette politique linguistique, à ce choix qui n’est pas un choix, il y a la même inconscience, la même imprévoyance, la même légèreté qu’il y a eu par rapport aux conséquences désastreuses des affaires du sang contanimé, des farines animales, du remembrement à outrance, du Crédit Lyonnais, etc., quand il ne s’agit pas de cet incivisme arriviste dont Jean-Marie Messier, le PDG éjecté de Vivendi Universal, est le plus pur représentant. Face à ces préparatifs lancés depuis longtemps pour vassaliser les autres peuples, piller la planète et même souiller la Lune, ils n’ont rien flairé, rien prévu.

Professeur de linguistique appliquée à l’université de Melbourne, Alastair Pennycook démontre dans divers ouvrages, dont "The Cultural Politics of English as an International Language" [3] et "English and the discourses of Colonialism" [4] , que, culturellement et politiquement, l’anglais n’est pas une langue neutre. "Son enseignement tend à établir, à maintenir et renforcer une influence de type colonial sur la société qui en est la cible, et cela à l’insu des professeurs d’anglais qui n’ont pas plus d’ambition que de faire leur travail et de gagner leur vie. » [5].
Pour avoir enseigné l’anglais à Hong Kong et en Chine quand il était étudiant, pour se faire de l’argent, Pennycook a constaté le caractère non seulement artificiel, mais superficiel et dissymétrique des relations qu’il génère. Le niveau atteint par ses étudiants ne leur permettait jamais de dépasser le stade des nécessités. C’est particulièrement intéressant quand certains opposent l’anglais comme langue prétendument "naturelle" à l’espéranto comme langue dite "artificielle".

Des recherches approfondies sur la politique linguistique menée par les autorités coloniales dans les pays ou la Grande-Bretagne a exercé une influence prépondérante ont permis à Pennycook d’établir un parrallèle avec bon nombre de situations analogues transposables sur le contexte européen actuel. L’Europe est bel et bien un territoire convoité dans l’édification d’un empire américano-anglais.
L’absence de transparence sur la politique linguistique est totale. On assiste à ce que Charles Durand nomme "La mise en place des monopoles du savoir" [6]. Le rejet du droit à la différence et du droit de penser autrement viole les principes sur lesquels repose toute société démocratique et bafoue les droits définis par la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme.

Les usagers de l’espéranto sont parfaitement conscients de la place prise par l’anglais, mais ils ont surtout une conscience beaucoup plus développée que la moyenne sur les enjeux.