L’espéranto, une solution éthique et simple à la Babel européenne

Publié le jeudi 15 août 2002 , mis a jour le samedi 2 juin 2007

Monsieur le Président, Mesdames, Messieurs, chers confrères et chère consœur,

Ma démarche d’aujourd’hui s’autorise d’une recommandation de notre Président, M. Malapert, recommandation qui fut portée à la connaissance du grand public, le 6 mars, par le canal de Figaro-Rhône-Alpes. Je le cite : "Nous (c’est à dire notre Académie) ne voulons pas nous enfermer dans notre bibliothèque avec nos livres d’hier, vestiges du passé, nous voulons être présents à la ville et bien au-delà, résolument tournés vers l’avenir".

Merci, cher Président, d’inspirer ainsi ma détermination : tournons-nous donc vers l’avenir ! Et l’avenir, du moins une des perspectives majeures de l’avenir, c’est l’Europe, une Europe enfin unie après de longs siècles de dispersion, de méconnaissance, de méfiance, voire de haines et de conflits.
Je suis né - nous sommes nés - dans un siècle de violences et de guerres, mais qui n’avait rien de nouveau à cet égard. J’ai appris à l’école, comme nous tous, que l’Europe a évolué d’une guerre à l’autre, depuis Charlemagne, en passant par la guerre de Cent Ans, les guerres d’Italie, la guerre de Trente Ans, les guerres de Louis XIV et de Louis XV, les campagnes meurtrières de Napoléon, la conquête de l’Algérie justifiée, dit-on, par un coup d’éventail insultant du Dey d’Alger, la guerre de 1870, la "Grande Guerre" ; j’ai vécu - nous avons vécu - la guerre de 39 - 45, la guerre d’Algérie, nous vivons actuellement des guerres rémanentes ici ou là..., atmosphère continue et monotone de haine, de massacre et de sang. Voilà ce que nous avons vécu jusqu’ici.
Et voici qu’enfin, au tournant du millénaire, après une lente et patiente construction de cinquante ans due à quelques apôtres français et allemands, des Monnet, des Adenauer, annonciateurs d’une humanité meilleure et plus éclairée, voici qu’une Europe unifiée, pacifiée, va s’épanouir désormais.
L’Europe est là, l’Europe est à nos portes, Europe de la paix, du partenariat, de la coopération, de l’ouverture, de l’amitié, de la fraternité... Pouvons-nous en rêver ? Devons-nous y croire ? N’est-ce qu’une utopie ? Mais n’avons-nous pas un devoir d’utopie ?
Cette utopie, d’ailleurs, repose sur des bases concrètes et solides : une union européenne économique, une Europe sans frontières depuis 1993, et, désormais, une monnaie unique qui va concrétiser cette entente, cette vie communautaire.
Désormais nos enfants vont pouvoir voyager dans toute cette Europe d’ailleurs de plus en plus vaste, et qui voit s’élargir ses perspectives d’adhésion. Nos jeunes pourront y faire du tourisme, mais aussi des rencontres culturelles, des congrès, mais encore y trouver des implantations professionnelles, y créer des entreprises. Plus de frontières, des TGV et des avions abrégeant les distances, une monnaie unique favorisant les activités, touristiques, culturelles et professionnelles,... quel rêve enchanteur en voie de réalisation !

Mais ...mais,... l’Europe c’est aussi 11 langues, qui seront bientôt 15 ! Et voici que le ballon du rêve risque de se dégonfler et de retomber lentement à terre devant le problème de Babel...

Oh ! je sais bien, la solution est, soi-disant, évidente, et proclamée depuis longtemps : tout le monde n’a qu’à parler anglais, c’est déjà la langue de la technologie informatique et des congrès scientifiques, donc tout est dit.

Mais c’est ici que nous nous permettons de poser le problème de l’éthique, avant d’aborder celui de la simplicité.
II est vrai que de tous temps, dans l’Europe, les contacts internationaux ont eu lieu grâce à une langue de communication admise par tous - c’est à dire par les élites -, langue qui changea au cours des époques, et chaque fois en raison du changement de tel ou tel facteur de domination. Au Moyen-Age, la langue de communication fut le latin, hérité de la domination romaine, et maintenu en raison de la domination spirituelle de l’Église catholique et romaine, domination spirituelle confortée matériellement par les pouvoirs séculiers. A mesure que le luthéranisme et le protestantisme contrecarrèrent cette domination catholique, le latin recula au profit du français, en raison de la domination politique de notre pays sur l’Europe au temps de Louis XIV et de Louis XV. Puis, au XIX° siècle, la puissance économique dominante de l’Angleterre maîtresse des mers, à l’origine de l’empire britannique, entraîna la domination de l’anglais sur toutes les autres langues de communication. C’est aussi la domination de la France en Afrique pendant le siècle de colonisation de ce continent par nos troupes, qui imposa le fait que, maintenant (mais pour combien de temps encore ?) le français est la nécessaire langue de communication des peuplades africaines aux mille dialectes divers.
Dans tout ce rappel, est apparu constamment un mot qui agresse notre sens de l’éthique : le mot domination, que ce soit la domination spirituelle, politique, économique ou militaire. Toujours une puissance dominante, et un dominé courbant l’échine sous la nécessité, la menace, voire la violence.

Au niveau européen actuel, avec la monnaie unique, il est bien évident qu’une langue unique de communication doit permettre d’assurer les échanges commerciaux, technologiques et culturels, et donc favoriser l’épanouissement de l’Europe. Mais décider que cette langue soit celle de l’un des pays constitutifs de l’ensemble européen, c’est rétablir et normaliser cette violence de la domination. Car les naturels du pays dont la langue aura été choisie, ces naturels qui la posséderont en tant que langue maternelle, auront de ce fait une supériorité sur les naturels des autres pays, chez qui l’apprentissage de cette langue aura été tardif, difficultueux, partiel et incomplet ; bien entendu cette domination linguistique d’un peuple sur les autres entraînera de sa part domination culturelle, économique et politique.

Pourquoi cette difficulté d’assimiler une langue étrangère, quelle qu’elle soit ? (car l’anglais n’est pas seul en cause, il en est de même pour le français, l’allemand ou toute autre langue nationale). Nous répondrons à cette question dans la deuxième partie de notre exposé. Mais, pour ma part, si j’ai appris l’anglais pendant six ans d’études secondaires, et si je peux bien sûr comprendre l’anglais écrit, je suis incapable de comprendre l’anglais parlé par un Anglais et encore plus par un Américain. Je ne suis de toute évidence pas le seul dans cette situation, il en est de même pour tous les Européens, et il en résulte que, face à un Anglais de naissance, tout Européen essayant de pratiquer la langue de Shakespeare est en état d’infériorité, de faiblesse et d’inégalité, voire de ridicule. II en serait d’ailleurs de même pour toute langue nationale autre que l’anglais imposée à l’Europe comme moyen de communication ; et ce fait est en soi révoltant et inadmissible sur le plan éthique.

Mais dans le cas de l’anglais le problème éthique est encore aggravé par le fait que l’anglais est la langue des Américains. Et accepter la domination linguistique anglaise, c’est accepter la domination technologique, économique, capitaliste et financière américaine.

Déjà, quoiqu’on en aie, le mal est répandu ; déjà tous nos jeunes portent la même casquette américaine (nos vieux aussi...) et le même " blue jean ", tous nos jeunes boivent du coca-cola et vont dévorer des sandwiches au Mc Donald désormais implanté dans tous les quartiers. Désormais aussi, pour nos jeunes qui veulent acquérir une qualification supérieure en ingénierie informatique, le parcours est impératif et incontournable : ils doivent nécessairement aller suivre des stages dans la Silicone Valley, aux USA ; le salut est à ce prix...

En outre, notre culture médiatisée française est de plus en plus investie par la culture américaine. J’ai pu recenser, dans les programmes télévisés de la seule 3° semaine de mars, la distribution suivante des films sur les six chaînes françaises essentielles, de TF1 à M6
 29 films français,
 35 films d’autres origines (Angleterre, Italie, Australie, Allemagne)
 et 131 films USA, c’est à dire plus du double de films américains par rapport à ceux du reste du monde.

II a fallu, lorsque M. Toubon était Ministre de la Culture, qu’il édicte la loi portant son nom pour imposer, dans les chansons entendues à la radio, un pourcentage de 40 % de chansons françaises, le reste étant dévolu à des chansons américaines parfaitement incompréhensibles à nos oreilles au milieu du fracas de la batterie accompagnante.
L’invasion et la domination américaines sont avérées, universelles, reconnues, revendiquées, assumées, appelées, adorées. La langue anglaise en est le vecteur. Déjà elle envahit notre langue familière française. Les exemples pullulent

On n’est plus à la mode, on est "in".
On n’a plus un aspect, un genre, un style, on a un "look".
On n’est plus calme, détendu, on est "cool".
On n’est plus agité, nerveux ou surexcité, on est "speed".
On ne dit plus un événement, mais un "happening".
On ne va pas voir une nouveauté incontournable, on va voir un "must".
On ne fait pas une pause, une interruption, mais un "break".
On n’est pas au sommet de l’actualité, on est au "top".
On n’établit pas une liste mais un "listing".
Le mieux n’est pas le mieux, c’est le "best of" .

... Et ainsi de suite : la langue française prend un plaisir stupide à se suicider avec les marketings, les briefings, les boards, les post it, le zapping, le sponsoring, les brain stormings, dont elle émaille ses discours de rue.
Continuons ainsi, et ce sera la mort de notre langue.
Cette domination de la langue anglaise et, corrélativement, de la puissance américaine, me semble éthiquement inacceptable.

Pour la nécessaire communication inter-européenne (de même, bien sûr et par extension, que pour la communication mondiale), il faut de toute évidence une langue qui respecte les autres, qui ne soit celle d’aucun peuple mais celle de tous les peuples, et qui n’entraîne pas avec elle la domination d’une culture, d’une économie, d’une puissance : une langue non pas fasciste, mais une langue humaniste.

Cette langue existe et fonctionne sans problème depuis plus d’un siècle : c’est l’Espéranto. Un siècle, c’est peu au regard des millénaires de l’histoire : c’est le temps d’une adolescence. Et l’espéranto a vécu positivement cette adolescence, puisqu’il est parlé maintenant par plusieurs millions de personnes dans 80 pays du monde.

Chaque année depuis 1905, en dehors des périodes de guerre, a lieu un Congrès Universel d’Espéranto, chaque fois dans une ville différente du monde. II a eu lieu, voici 3 ans, à Prague ; en 97, à Adélaïde (Australie) ; en 98 en France, à Montpellier ; l’été prochain il aura lieu à Berlin, l’été suivant, à Tel Aviv.

J’ai assisté en août dernier à ce congrès universel de Montpellier : il réunissait plus de 3000 délégués venus de 72 pays différents. Parmi ces délégués, se trouvaient, entre autres, 18 Coréens, 30 Chinois, et 249 Japonais : car l’espéranto est autant implanté en Asie qu’en Europe ; il est en train de gagner l’Afrique, dont plusieurs nations étaient représentées à ce congrès.

Tous ont parlé la même langue, avec aisance, sans le moindre recours à un service de traduction simultanée , ce "mammouth" (permettez-moi cette référence ministérielle), ce mammouth des institutions internationales, source de dépenses niagaresques, de retards, de lourdeurs et d’erreurs de traduction.

C’est que l’espéranto est beaucoup plus facile à apprendre que toute langue nationale quelle qu’elle soit ; cela nous amènera dans un instant au deuxième regard sur la question : après le problème de l’éthique, celui de la simplicité.

Mais, en introduction à cette découverte de la langue, permettez-moi tout d’abord de faire litière des critiques "a priori" apportées à la langue par ceux qui ne la connaissent pas.

1° critique : l’espéranto est une langue fabriquée, sans culture, qui ne peut rivaliser avec les langues nationales porteuses de richesses culturelles auxquelles il est impensable et odieux de porter atteinte.

Cette critique comporte un double tranchant
1°) L’espéranto est une langue sans culture. Répondons que l’espéranto ouvre la voie à la découverte et au partage de toutes les cultures, dont beaucoup sans lui resteraient ignorées. Ne donnons qu’un exemple : j’ai acheté récemment ce livre intitulé "Kalevala", traduction en espéranto d’une saga finlandaise dont la lecture m’a séduit par sa poésie fantastique et légendaire. Elle fut éditée par l’association espérantiste finlandaise et imprimée en Suisse. Signalons qu’il existe dans le monde près de 150 maisons d’édition espérantistes, offrant plus de 30.000 titres. Sans cette traduction et cette édition, aurais-je pu, moi français, avoir connaissance de cette envoûtante saga nordique ? La culture finnoise, cela existe-t-il aux yeux de notre intelligentsia ? Pour un espérantiste, elle fait partie tout naturellement de son patrimoine, il ne lui reste qu’à espérer une vie assez longue pour tout découvrir...

2°) Deuxième tranchant de la critique : l’espéranto ambitionnerait de rejeter au néant toutes les cultures existantes, en même temps que les langues qui en sont le support. Cet argument est, permettez-moi de le dire, stupide. L’espéranto ne vise pas à supplanter les langues existantes, avec les cultures dont elles sont porteuses, il souhaite seulement apporter aux citoyens un langage de communication politiquement neutre et facile à apprendre.

2° critique : l’espéranto a été créé voici plus de 100 ans, et ne s’est, de toute évidence, pas imposé ; il est toujours méconnu ou rejeté après un siècle : comment peut -on espérer qu’il soit adopté un jour ?

La réponse naît d’un parallèle. En 1539, par l’Edit de Villers-Cotterets, François 1er imposa le français dans les actes administratifs, et dès lors le français devint langue nationale officielle et fut censé s’étendre à tout le territoire. Où en sommes -nous près de cinq siècles plus tard ?

Essai de réponse : adolescent, j’ai été employé, pendant la guerre et les restrictions, comme garçon de ferme à Valencin, tout près de Lyon, à deux pas d’Heyrieux. Mon patron et sa femme, s’ils me parlaient français pour la communication, ne se parlaient entre eux et avec les gens du village qu’en patois de l’Isère. J’ai constaté ensuite, chez un oncle et une tante près de Chalon-sur-Saône, que les Bourguignons ne parlaient entre eux que le patois bourguignon.

Cinquante ans auparavant cependant, l’école de la République, gratuite et obligatoire, avait été instituée et imposait dans les provinces l’apprentissage de la langue française. Un siècle plus tard, donc aujourd’hui, les Bretons revendiquent l’emploi du breton dans l’enseignement local ; je viens pour ma part, de recevoir, dans un concours organisé par "A coeur Joie Pyrénées - Adour", un prix de composition chorale, mais sur des textes en langue occitane ; il m’a fallu m’initier... Enfin on sait qu’en Alsace il faut menacer les petits Alsaciens de punition si, à l’école, ils omettent de parier français.

Reconnaissons malgré tout que, grâce à la diffusion de la radio et de la télévision, il semble que le français atteigne enfin peu à peu le statut de langue nationale reconnue. Jusqu’alors il n’était accueilli et assimilé que par une fraction du peuple, et souvent à contrecoeur.

Pour ce qui est de l’espéranto, qu’aucune décision gouvernementale n’a encore imposé ni même proposé, comment s’étonner de l’indifférence générale ? N’oublions pas que les données de l’Europe sont toutes nouvelles - l’espace d’une génération -, que jusqu’alors chaque peuple était enfermé dans ses frontières, que les déplacements à l’étranger restaient exceptionnels, que le problème de la communication linguistique internationale ne se posait pratiquement à personne, et que par conséquent la conscience collective s’en désintéressait totalement. Dorénavant, avec les frontières abolies et l’emploi de la monnaie unique, on peut penser que cette conscience collective va enfin sortir de sa torpeur et mesurer la dimension du problème.

En attendant, comme nous le disions tout à l’heure, l’espéranto accroît ses forces adolescentes et étend son envergure. Le vocabulaire initial conçu par son créateur Zamenhof comprenait 900 racines ; il en compte désormais 16.000, car chaque spécificité technique ou professionnelle y a créé son propre vocabulaire, en général selon les racines les plus répandues dans les langues européennes, et cela sous le contrôle de l’Académie Internationale d’Espéranto : de sorte que la langue peut vraiment s’appliquer à tous les secteurs de l’activité.

3° critique  : l’espéranto peut, comme le "pidgin" anglo -saxon, s’avérer utile dans la vie touristique et commerciale de tous les jours ; mais jamais il n’aura la possibilité d’être employé dans les échanges culturels de haut niveau, dans la littérature et la philosophie, avec le rendu de toutes les finesses du discours. Du fait des informations que je viens de vous donner, cette critique est aussi incongrue que les autres ; le vocabulaire philosophique espérantiste est aussi riche qu’en français, et sa grammaire - nous le verrons dans un instant - est parfois plus riche que la nôtre parce que plus systématique et plus cohérente.
Mais cette critique m’offre l’occasion de vous mettre enfin, mes chers confrères, en contact direct avec la langue, et de vous en découvrir tout d’abord les sonorités.

Pour cela, je ne prendrai pas un texte d’intérêt platement commercial, technologique ou touristique, mais un texte philosophique d’une haute spiritualité, emprunté à Blaise Pascal, et que j’avais appris lorsque j’avais quatorze ans ; il est toujours présent à ma mémoire, comme tout ce qu’on apprend à cet âge :

"L’homme n’est qu’un roseau, le plus faible de la nature, mais c’est un roseau pensant. II ne faut pas que l’univers entier s’arme pour l’écraser ; une vapeur, une goutte d’eau suffit pour le tuer. Mais quand l’univers l’écraserait, l’homme serait encore plus noble que ce qui le tue, parce qu’il sait qu’il meurt, et l’avantage que l’univers a sur lui ; l’univers n’en sait rien".
Voici ce texte en espéranto

Cette traduction d’un texte philosophique ne pose donc, comme vous le voyez ; aucun problème à un espérantiste. Vous aurez sans doute remarqué que la langue est sonore et riche en voyelles. C’est que son créateur Zamenhof, pourtant d’origine judéo-slave, mais qui connaissait dix langues européennes outre le yiddish, voulut constituer l’espéranto essentiellement à partir des langues romano-germaniques, riches en voyelles, et toutes plus ou moins dérivées du latin. C’est pourquoi l’espéranto, basé à 60 % sur des racines latines, à 30 % sur des racines anglo-saxonnes, et à 10 % seulement sur des racines slaves, nous fait plus penser aux langues française, italienne ou espagnole qu’à l’anglais, à l’allemand ou au russe.

La grammaire, la syntaxe et la morphologie sont soumises à des règles simples et sans exception
 tous les noms se terminent par o - tous les adjectifs, par a
 tous les adverbes, par e
 on ajoute un n d’accusatif au complément d’objet direct pour le distinguer du sujet, ce qui permet la plus grande liberté de construction de la proposition, sans équivoque pour le sens. En voici un exemple. Si en français dire
 "La mère embrasse l’enfant" ou - "L’enfant embrasse la mère"
offre deux sens opposés, du fait de l’emplacement obligé du sujet et du complément d’objet direct, il n’en est pas de même en espéranto : le complément direct se distingue du sujet par l’adjonction de la lettre n, marque de l’accusatif. De sorte que les six phrases suivantes ont, en espéranto, exactement le même sens
 La patrino kisas la infanon - la infanon kisas la patrino - la patrino la infanon kisas - la infanon la patrino kisas - kisas la patrino la infanon
 kisas la infanon la patrino..

Dans toutes ces phrases, c’est la mère qui embrasse l’enfant, et rien d’autre. Si l’on veut dire que l’enfant embrasse la mère, il suffit de déplacer le n de l’accusatif
 la patrinon kisas la infano,
 la infano kisas la patrinon, etc...
de sorte que la rigueur et la clarté grammaticale sont alliées à une grande liberté de la forme. Cette liberté répond aux usages de construction de la phrase selon les pays européens (les Hongrois commencent par le complément direct, les Allemands placent le verbe à la fin,...).
Quant aux compléments indirects ou circonstanciels, ils sont, comme en français, introduits par de nombreuses prépositions.
Et cela nous amène au deuxième volet de notre communication :
la simplicité de l’espéranto. Après avoir revendiqué son emploi pour des raisons d’éthique de la vie internationale, nous le revendiquons maintenant en raison de sa plus grande simplicité.
Cette simplicité de la langue, due à la démarche rationnelle de son créateur Zamenhof, nous n’aurons aucune peine à la mettre en valeur face aux complications et aux incohérences des langues nationales quelles qu’elles soient, complications et incohérences dues à l’évolution anarchique de ces langues au cours des âges.
Nous ne nous référerons qu’aux deux langues qui nous sont le mieux connues : le français et l’anglais ; et vous allez voir que les surprises ne vont pas nous manquer.
En français tout d’abord. Le mot si simple "saisons" est, pour l’étranger qui apprend notre langue, rempli de traquenards

 trois s de trois prononciations différentes,
 un a qui ne se prononce pas a,
 un i qui ne se prononce pas i,
 un o qui ne se prononce pas o,
 un n qui ne se prononce pas n.
Oui, mais, me direz-vous, la conjonction de deux lettres forme une diphtongue qui est comme une voyelle nouvelle : a + i se prononce ai, o + n se prononce on ; cela fait partie de la langue.

Oui, bien sûr ; et c’est pourquoi il ne faut pas dire, à un étranger apprenant le français que cette langue a 5 voyelles, a - e - i - o - u, plus un y interlope. II faut lui dire que le français a 6 sons-voyelles, a - e - i - o - u - y, plus 12 diphtongues, ai -an-au-ei-en—et-eu-in-oi-on-ou-un.
En espéranto, rien d’autre que les cinq voyelles, a - e - i - o - u, qui ont toujours la même prononciation et ne sont jamais muettes. II n’y a pas de diphtongues, toutes les lettres se prononcent, de sorte qu’au bout d’une heure d’assimilation des 27 lettres de l’alphabet, un espérantiste peut prononcer clairement tous les mots de la langue, donc comprendre et être compris de tout espérantiste du monde entier (ce que j’ai pu vérifier encore l’été dernier à Montpellier).

Puisque nous en sommes à l’orthographe des sons, permettez-moi de vous offrir une autre petite surprise. Combien y a-t-il, à votre avis, de façons d’écrire en français le son o ? ne cherchez pas, il y en a au moins 28 : et cela, à cause des diphtongues et des lettres muettes...
o os
ô côte
ot pot
ôt dépôt
od Monod
oc broc
op trop
oh oh  !
oth Goth
ho honneur
hô hôpital
os gros
ost Beynost, Chaponost
hod Arinthod (Jura)
au autour
hau hausse
aud costaud
haud Milhaud
aut héraut
haut haut
ault Renault
hault Brunehault
aux travaux
eau l’eau
eaud rougeaud
heau heaume
eaux ciseaux
aulx n’oublions pas le pluriel de " ail " !

28 orthographes du même son, que l’étranger qui apprend notre langue doit assimiler ... bravo pour la simplicité de notre belle langue !
En espéranto, une seule orthographe pour le son o : la lettre o.
Et si nous abordions la conjugaison française...
Trois groupes de verbes, dans lesquels la forme du verbe change selon la personne, aussi bien au singulier qu’au pluriel..., mais je ne voudrais pas vous contrarier, chers confrères, avec de mauvais souvenirs scolaires, éventuellement pas tous surmontés... Ne pensons qu’aux deux auxiliaires, être et avoir, dont chacun, au seul présent de l’indicatif, offre six formes différentes selon le pronom sujet ...
je suis j’ai
tu es tu as
il, elle est il elle a
nous sommes nous avons
vous êtes vous avez
ils, elles sont ils, elles ont.

En espéranto, foin de toutes ces complications superfétatoires ! Tous les verbes, sans distinction de groupe, présentent au même temps une graphie unique à toutes les personnes, le pronom sujet suffisant amplement à distinguer celles-ci.
Exemple : conjugaison du verbe être (esti - la lettre i est la terminaison de l’infinitif) :


Remarquons cette dernière liste à droite : en espéranto, l’impératif concerne logiquement toutes les personnes, et l’on peut s’y commander à soi- même, ce qu’on ne peut faire en français qu’avec l’emploi d’une périphrase ou du subjonctif.
Notons en outre que l’espéranto, comme l’anglais, et plus richement que le français, emploie le neutre à la troisième personne du singulier, pour les animaux et les choses : li (il), ^s (elle), ^si (neutre).

Mais cette simplification, me direz-vous, entraîne nécessairement une certaine pauvreté, pour ne pas dire une pauvreté certaine, dans le domaine de la conjugaison ; car, me direz-vous encore, comment exprimer en espéranto la subtilité des temps composés, le passé dans le présent, le présent dans le passé, le passé dans le futur, passé composé, plus-que-parfait, futur antérieur ? Rassurez-vous, chers confrères, Zamenhof a pensé à ce problème, et l’a résolu de telle façon que, ici encore, l’espéranto surpasse le français à certains moments, et cela tout simplement parce que Zamenhof est allé jusqu’au bout de sa logique, contrairement au français.
II suffit d’employer, avec le verbe principal, (par exemple labori = travailler), l’auxiliaire esti (être). On donne au verbe principal (labori) la forme de participe, en lui ajoutant le suffixe du participe, mais aux trois temps du présent, du passé et du futur, contrairement au français qui ignore le participe futur
ant pour le présent int pour la passé ont pour le futur
puis la terminaison a de l’adjectif, car le participe est un adjectif verbal. D’où les formes suivantes

laboranta = qui travaille
laborinta = qui a travaillé
laboronta = qui travaillera.

Et voici la logique conjugaison composée qui en résulte, à un certain moment plus complète que le français

Mi estas laboranta (je suis travaillant = je travaille)
Mi estis laboranta (j’étais travaillant = je travaillais)
Mi estos laboranta (je serai travaillant = je travaillerai).

Remarquons qu’à ce niveau, on retrouve tout simplement... les temps simples. Mais avec les participes passé et futur, on aborde les temps réellement composés.
Mi estas laborinta (je suis ayant travaillé = j’ai travaillé)
Mi estis laborinta (j’étais ayant travaillé = j’avais travaillé)
Mi estos laborinta (je serai ayant travaillé = j’aurai travaillé).

Ici, ce sont nos temps composés, le passé composé, le plus-que-parfait, le futur antérieur, voire le passé antérieur (j’eus travaillé = mi estis laborinta).
Avec le participe futur, on aborde des conjugaisons, des temps, qui n’ont en français pas de définition claire, qui font appel à des auxiliaires inattendus tels que aller, ou qui nous laissent tout simplement muets, ou obligés de recourir à des périphrases.

Mi estas laboronta (je suis travaillant plus tard = je vais travailler)
Mi estis laboronta (j’étais devant travailler plus tard = j’allais travailler)
Mi estos laboronta (je serai devant travailler plus tard = le français n’a pas d’équivalent...).

Nous constatons ainsi la grande simplification qu’apporte l’espérantopar rapport au françaisdansledomaine de la conjugaison. Il en est de même dans la formation des mots, grâce à la construction de beaucoup d’entre eux par l’ajout d’affixes à une racine.
En voici un exemple entre cent

En français, pour définir les différents degrés de chaleur ou de froid, il ne faut pas mémoriser moins de 6 ou 7 épithètes qui n’ont morphologiquement rien de commun entre elles, ce qui ne facilite pas leur apprentissage
brûlant hot
chaud warm
tiède il en est d’ailleurs tepid
frais de même en anglais fresh
froid cold
glacé frosty
glacial icy

En espéranto, il suffit de mémoriser une racine, varm (idée de chaleur), et d’y adjoindre, avec le a final de l’adjectif, les trois affixes que voici, qui serviront pour toutes les autres dérivation
préfixe mal le contraire
suffixe eg augmentatif
suffixe et diminutif
ce qui donne, à partir d’une seule racine
brûlant varmega
chaud varma
tiède varmeta
frais malvarmeta
froid malvarma
glacé malvarmega
glacial "
Et le pluriel des noms ? Le Petit Larousse n’emploie pas moins de deux pages à tenter d’éclaircir ses obscurités en français. En espéranto, il suffit d’ajouter la lettre j, et cela pour tous les noms et les adjectifs.

I’oeil la okulo
les yeux la okuloj

Mais délaissons les difficultés du français, puisqu’il est avéré qu’il ne sera pas la langue de communication internationale (et comme cela se comprend désormais !), et tournons- nous vers l’anglais.

II a une grammaire plus simple que le français, mais il offre bien d’autres traquenards.
Et tout d’abord rappelons-nous, à propos de conjugaison, que l’anglais présente 177 verbes irréguliers, dont il faut mémoriser, outre l’infinitif, le prétérit et le participe passé : en tout, 531 mots n’obéissant à aucune logique décelable ; mais ils sont là, et il faut les assumer...
II va de soi que, dans le "pidgin" d’origine anglaise qui court les ports, ces verbes irréguliers sont dans leur majorité superbement ignorés et déformés. Sans doute en est-il de même de l’ensemble de la langue de Dickens. Cet état de chose fait gémir nos amis anglais, et c’est sans doute pourquoi, au Parlement britannique, plus de 200 députés, soit un tiers de l’effectif parlementaire, souhaitent l’emploi de l’espéranto comme langue de communication internationale. Alors que nos parlementaires français, eux, sont bien indifférents au problème.

Mais la grande difficulté de l’anglais, c’est sa prononciation, souvent incohérente, ainsi que ses innombrables polysémies, sens multiples d’un même mot ou d’un même assemblage de mots.
Des incohérences de prononciation, en voici deux ou trois, prises au hasard
Tee shirt - though , through, enough.
Des multiplicités de prononciation, chaque voyelle en offre

a : cat, game, fall,...
e : let, be, eleven,...
i : bit, sir, like, six,...
o : spot, go, to, one, come,...
u : cut, put, pure, jump,...

Le dernier exemple que je vais citer illustre ces traquenards de la prononciation anglaise. Voici dix énonciations de mots monosyllabiques constitués de deux consonnes pourtant très nettes b et t, mais entre lesquelles se trouve, pour notre malheur, une voyelle ou une diphtongue :

quand j’ énonce : bet - bit - beet - beat - bite - bat - but - butt - boot - boat,
je traduis les mots suivants : pari - morceau - betterave - battre - morsure - raquette -mais - coup - botte - bateau.

Comment voulez-vous qu’un étranger s’y retrouve dans cet imbroglio de prononciations ?
J’ai récemment relevé dans la presse l’information suivante :

"L’Organisation de l’Aviation Civile Internationale s’est lancée dans un projet de révision de la langue de l’aviation. On déplore un nombre significatif de catastrophes causées par une mauvaise communication linguistique entre les pilotes et les contrôleurs au sol. L’anglais a des défauts irrémédiables, par exemple un alphabet de 26 lettres pour 44 sons, une grande quantité de mots à signification multiple (polysémies), etc... Parallèlement aux travaux de l’OACI, un groupe international de travail se constitue pour préparer une terminologie de l’aviation en espéranto (il en existe déjà une dans le domaine ferroviaire)".

Face à cette confusion de sonorités, se propose l’espéranto, avec ses cinq voyelles a e i o u sans diphtongues, sa grammaire logique aux règles sans exceptions, son vocabulaire bâti à partir de racines empruntées à nos langues européennes, essentiellement romano-germaniques. Une évidence s’impose : l’espéranto s’apprend en 10 fois moins de temps que toute langue nationale, avec une certitude de prononciation, donc de compréhension, sans équivoque.
Le seul problème subsistant est celui de mémoriser les racines et les affixes (10 préfixes et 33 suffixes), et de s’habituer ensuite à former des mots en toute logique en assemblant ces divers éléments.

Donnons un remarquable exemple de cette formation des mots par conjonction d’éléments : le mot samideano, par lequel les espérantistes se désignent et s’honorent mutuellement, est formé de quatre éléments

 sam, le même (venu du same anglais)
 ide, l’idée
 an, suffixe indiquant le membre d’un groupement
 o, terminaison du nom
" samideano ", c’est donc " celui qui partage la même idée ". En ajoutant le préfixe ge (réunion des deux sexes) et le j du pluriel, on obtient un mot un peu long sans doute, mais qui à lui seul traduit une phrase entière
 gesamideanoj : l’ensemble des hommes et des femmes qui partagent la même idée.

Cette idée, c’est que l’espéranto est la langue du dialogue, de l’égalité, de l’amitié, de l’ouverture, du respect d’autrui et du respect de la culture de chacun.
Et cela nous amène à la conclusion.

Mes chers confrères, après cet itinéraire dans le monde de la communication linguistique internationale, la situation n’apparaît-elle pas toute claire, et la solution évidente ?
D’une part l’anglais, langue nationale, et de ce fait dominante au profit de ses locuteurs ’naturels,
 langue hérissée de difficultés et d’incohérences, avec ses verbes irréguliers, ses soi-disant six voyelles qui présentent en réalité plus de vingt prononciations différentes, auxquelles s’ajoutent les diphtongues qui redoublent les embarras phonétiques,
 langue encombrée de mots à signification multiple et de mots accolés qui constituent autant d’imbroglios sémantiques,
 langue qui est en outre un vecteur et un instrument de la domination américaine sur le reste du monde.
D’autre part l’espéranto, une langue raisonnée, cohérente, logique, langue qui n’a rien d’artificiel puisqu’elle est issue de nos langues européennes, langue aussi riche que toute autre, et parfois même davantage, comme nous l’avons vu, langue qui n’entraîne la domination d’aucun peuple, n’étant celle d’aucun d’entre eux mais celle de tous, langue qui ouvre l’accès à toutes les cultures dans le respect de chacune.

Alors, mes chers confrères, comment hésiter ? Comment ne pas souhaiter que les yeux s’ouvrent, et que la conscience collective sorte de son apathie à l’égard de ce problème ?
Et peut-être notre Académie, incitée par son Président à se tourner vers l’avenir, pourrait-elle manifester, par ses prises de position et par ses initiatives, une détermination par rapport à cet avenir linguistique qui naît sous nos yeux.
Permettez-moi d’achever en traduisant en espéranto la dernière phrase ci-dessus (que je vous rappelle) :

"Kaj eble nia Akademio, instigita de sia Prezidanto por sin turni al la estonteco, povus manifesti, per siaj pozicielektoj kaj per siaj iniciatoj, ian decidon pri tiu lingva estonteco kiu naski_as sub niaj okuloj".
"Mi dankas vin pro via atento", c’est-à-dire : "Je vous remercie de votre attention".