La déraison d’État face à l’espéranto

Publié le mardi 8 avril 2003 par admin_sat , mis a jour le dimanche 8 août 2004

Il est connu, dans l’histoire de l’espéranto, que Léon Bérard, le ministre français de l’instruction publique qui avait interdit l’utilisation des locaux scolaires pour les cours d’espéranto par une circulaire du 3 juin 1922 (abrogée en 1924), n’était pas spécialement honorable. Par un décret du 17 mai 1935, sous le régime nazi, en Allemagne, le ministre de l’éducation Bernhard Rust justifia ainsi une décision identique : “Le soutien aux langues auxiliaires artificielles mondiales telles que la langue espéranto n’a pas de place dans l’État national-socialiste. Son utilisation mène à l’affaiblissement des valeurs essentielles du caractère national. C’est pourquoi toute accélération de l’enseignement de telles langues est à éviter ; les classes d’enseignement ne doivent pas être mises à disposition dans ce but.

Un collège des Pyrénées Atlantiques, à Saint-Palais, avait reçu en 1977 le nom de Léon Bérard. Des précisions sont apparues sur la personnalité de cet ancien ministre dans “L’Express” du 4 juillet 2002, puis sur plusieurs sites web et dans “La Raison”, mensuel de la Libre Pensée (avril 2003).

Académicien, ex-député démocrate-chrétien, Bérard devint, sous l’occupation nazie, ambassadeur du gouvernement de Vichy au Vatican. Il veilla avec un zèle particulier à ce que le Vatican n’émette pas de réserves à l’encontre les lois anti-juives promulguées par Pétain. En conclusion d’un rapport fourni à ce gouvernement le 2 septembre 1941, il avait écrit : "Il nous sera intenté nulle querelle sur le statut des juifs", et, ailleurs : "Il est légitime de leur interdire l’accès des fonctions publiques ; légitime également de ne les admettre que dans une proportion déterminée dans les universités (...) et dans les professions libérales."

Luc Ferry a pris des mesures pour s’opposer à la montée de la violence, du racisme, de l’antisémitisme et de la xénophobie dans les établissements d’enseignement. Or, l’espéranto, dont il refuse l’introduction dans les programmes, est en soi une école de civisme planétaire [1]..

Dans la période actuelle, lorsque la nécessité de parvenir à l’estime réciproque et à la coopération constructive (le président Chirac en a fait assez souvent mention avant et après le déclenchement des hostilités en Irak), la leçon à tirer de ceci est que le Dr Zamenhof et son oeuvre méritent plus que jamais l’attention de l’Éducation nationale, des enseignants, éducateurs et parents d’élèves.

N’y aurait-il pas lieu, par ailleurs, de faire en sorte que le collège en question reçoive plutôt le nom du Dr Ludwik Lejzer Zamenhof, dont la famille a été décimée par un régime monstrueusement barbare, et que l’Unesco a invité à célébrer en 1960 comme “personnalité importante universellement reconnue dans les domaines de l’éducation, de la science et de la culture” ?
Et ceci à plus forte raison au moment où des dirigeants de nations, dont une super-puissance en pleine dérive spirituelle et morale, mêlent le nom de Dieu à leurs calculs et turpitudes ?

D’origine juive, Zamenhof avait par ailleurs une vision tolérante, sereine, libre et paisible du judaïsme comme de la question religieuse (celle d’un “libre croyant”) et de la non-croyance.

L’espéranto n’avait “pas de place dans l’État national-socialiste".

N’en a-t-il pas dans l’État républicain français ?
Et si oui, Monsieur Luc Ferry, pourquoi ?