La manipulation de l’information... Comment ça marche ?

Publié le dimanche 4 août 2002 par admin_sat

Un journaliste digne de ce nom prend la responsabilité de tous ses écrits même anonymes :
 tient la calomnie, les accusations sans preuves, l’altération des documents, la déformation des faits, le mensonge pour les plus graves fautes professionnelles ; (...)
Charte du journaliste, adoptée en 1918
par le Syndicat National des Journalistes (SNJ)

7) Nous devons être plus circonspects à l’égard des orthodoxies sociales - le "politiquement correct". Le journalisme devrait aller au-delà des stéréotypes et des simplifications. Les responsables politiques et les groupes de pression sont devenus habiles à alimenter et manipuler les médias.
Il s’agit là d’un des dix points concernant des problèmes de "la liberté de la presse et ses manquements" évoqués au Congrès de la Fédération internationale des éditeurs de journaux à Vienne (1994) par Peter Kann, éditeur du "Wall Street Journal", prix Pulitzer 1972 (la plus haute distinction étasunienne du journalisme).

Notre mission, à nous journalistes, est d’informer, d’expliquer, de favoriser la pluralité d’expression. Trop d’entre nous sont tentés de se prendre au jeu de la puissance médiatique, de se laisser enivrer par elle et d’en abuser.
Michel Vincent, directeur associé du journal "Le Pays Briard" (22 juillet 1998)

Pourquoi pas un Palmarès de la manipulation de l’information ?

Tout ce qui est écrit sur le papier, dit à la radio, montré à la télévision ne doit pas être l’objet d’une confiance aveugle.
La désinformation existe, tout comme existe l’information.
La désinformation peut être aussi le fait de gens de bonne foi qui, sans vérifier, sans comparer, sans aller au fond des choses, se contentent de répéter ce qu’ils ont entendu dire, parfois en se donnant l’air de connaître le sujet.

Au contraire, la manipulation de l’information est un acte volontaire et conscient de déformation des faits. C’est l’expression d’une volonté de nuire, de dissuader les autres de se rendre compte par eux-mêmes où sont le vrai et le faux. Elle cache l’essentiel, entretient les idées reçues, donne du relief à la banalité, détourne l’attention de toute éventuelle piste qui permettrait à chacun d’entreprendre des recherches.

Dans le cas de l’espéranto, il serait intéressant d’étudier tous les procédés qui ont été utilisés pour le discréditer aux yeux du public.
Où s’arrête la désinformation ?
Où commence la manipulation de l’information ?

Comment ça marche ?

Un cas intéressant, et assez représentatif de ce qui a été fait durant des décennies pour maintenir l’espéranto dans l’ombre, a été livré par le supplément hors-série de la revue "Sciences et Avenir" de décembre 2000 et janvier 2001 dont le thème était "La langue d’Homo erectus".

C’est symbolique aussi, car peu de revues ont ainsi produit un numéro faisant la transition d’un millénaire à un autre.
Mais est-ce de bonne augure pour l’humanité que l’état d’esprit qui apparaît dans l’article en cause ait pu franchir le cap d’un nouveau millénaire ?...
Certes, nous savons que les désaccords sont fréquents entre scientifiques et que la jugeote apporterait parfois, peut-être même souvent, des réponses plus satisfaisantes que la science à de graves questions de notre temps. La science, ou en tous cas son mauvais usage, a été à l’origine de bien des désastres. Le respect de règles de déontologie ne devrait-il pas de ce fait être considéré avec plus de rigueur dans le journalisme de vulgarisation scientifique ?

La rédaction du hors-série de "Sciences et Avenir" a reconnu que cette affaire a suscité de nombreuses réactions de la part d’usagers de l’espéranto, mais le rectificatif vraiment très limité qu’elle a publié dans son numéro d’avril/mai (p. 8) est d’une discrétion remarquable qui correspond tout à fait à la ligne rédactionnelle adoptée à l’égard, ou plutôt à l’encontre, de l’espéranto. Le tout ne brille pas par la lisibilité : il tient dans un rectangle de 3,5x 6,5 cm en caractères de couleur orange très petits sur fond vert foncé. S’il y est dit qu’au moins 10 000 ouvrages ont été traduits en espéranto, il n’apparaît nulle part que le nombre d’oeuvres originales produites en espéranto est au moins deux fois supérieur. L’ouvrage mentionné comme source d’un tableau donnant des exemples de mots d’espéranto écrits sans accents est "Les fous du langage", de Marina Yaguello qui l’a elle-même repris d’un ouvrage de Monnerot-Dumaine, lequel reconnaissait lui-même n’être qu’un amateur. Un amateur qui, au moins, avait mis les accents ! Si la règle était "Cachons cet espéranto que l’on ne saurait voir !", on ne s’y serait pas mieux pris.

N’est-ce pas curieux qu’à propos d’une langue en faveur de laquelle 42 savants de l’Académie des Sciences avaient émis, en 1924, un vœu reconnaissant en elle "un chef d’oeuvre de logique et de simplicité" et justifiant son admission dans l’enseignement, des journalistes de la presse scientifiques fassent subitement preuve de si peu de rigueur, d’une telle irrationalité ?
Ne conviendrait-il pas d’examiner de tels comportement ?
De manière scientifique, bien entendu ! ;-)

On pourrait considérer l’affaire avec humour en découvrant que ce rectificatif est paru dans une page intitulée "Idées reçues", à la propagation desquelles la revue en question a largement contribué pour ce qui touche l’espéranto.

Le contenu de trois réactions, de Claude Piron, Maurice Sujet et de moi-même, adressées à la rédaction, donnera un éclairage sur une interrogation qui revient souvent sur le devenir de l’espéranto et que Cavanna avait formulée à sa manière dans "La belle fille sur le tas d’ordures" (Ed. Archipel) : "A propos... Dites-moi. Pourquoi aucun gouvernement au monde n’a-t-il jamais proposé, (à l’O.N.U., par exemple) la promotion d’une langue ultra-simplifiée ?"

Remarque : Attention ! la rédaction du mensuel "Sciences et Avenir" et celle du hors-série "Sciences et Avenir" sont indépendantes.
Le directeur du hors-série est Laurent Mayet.
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Vers :
A propos d’" idées reçues "...
Claude Piron. Psycholinguiste. Auteur de "Le défi des langues" (L’Harmattan ; seconde édition en 1998). Après avoir été traducteur polyvalent à l’Onu et à l’OMS pour l’anglais, l’espagnol, le russe et le chinois, il a été chargé d’enseignement à la faculté des sciences de l’éducation de l’université de Genève.
Des erreurs indignes d’une revue "scientifique"
Maurice Sujet. Ancien professeur de physique et principal de Collège
Science ou pseudo-science - Quel avenir pour les sciences ?
Henri Masson. Coauteur, avec René Centassi, ex-rédacteur en chef de l’Agence France Presse, de "L’homme qui a défié Babel" (Ed. L’Harmattan)