La rupture aura-t-elle lieu ?

Publié le lundi 23 juillet 2007

À propos de l’introduction officielle de l’espéranto dans l’enseignement, alors qu’il était sénateur de la Dordogne et maire de Périgueux, le nouveau ministre de l’Éducation nationale, Xavier Darcos, avait transmis la réponse du ministre d’alors à Kristian Garino, président d’"Espéranto Vive", à Chambéry, par une lettre 28 septembre 1999 référencée (MA/RZ/ND/RD/134 ?) :

Cher Monsieur,

Ainsi que je vous l’avais fait connaître dans ma lettre du 5 septembre dernier, j’ai souhaité recueillir des éléments d’information sur les possibilités de l’enseignement de l’ESPERANTO comme langue auxiliaire facultative au baccalauréat français.

Une proposition de loi, portant le n°96-485, relative à l’enseignement de l’ESPERANTO a bien été déposée au Sénat mais, comme l’explique le Ministre chargé de l’Enseignement scolaire dans la réponse à la question écrite ci-jointe, il n’est pas possible de donner une suite favorable à cette proposition.

En effet, en l’absence de support littéraire, historique ou géographique, l’ESPERANTO n’est pas comparable à une langue classique ou vernaculaire susceptible d’être présentée à des examens.

Regrettant de ne pouvoir vous adresser de meilleure réponse, je vous prie de bien vouloir agréer, Cher Monsieur, l’expression de mes meilleurs sentiments.

Le nouvel occupant du ministère de la rue de Grenelle reprendra-t-il les arguments de ressassés par ses prédécesseurs, dont Claude Allègre, qui occupait alors cette fonction (de 1997 à 2000, voir le Service de Presse de juin 2007, page II) dans le gouvernement Jospin, lequel avait déjà donné, en décembre 1988, une réponse semblable durant son règne sur l’Éducation nationale (de 1988 à 1992) :

Lionel JOSPIN, à Monsieur Marc BOEUF
Sénateur de la Gironde, Conseiller Général
Réf. : CAB/BDC/CP/4024/8
V/Lettre : RP . MD du 5 octobre 1988

Monsieur le Sénateur et Cher ami,

J’ai pris connaissance avec intérêt du dossier envoyé par l’Association Espéranto - Pays-Foyen, 31 rue Langalerie à Sainte-Foy-la-Grande que vous avez bien voulu me faire parvenir.
Je pense, comme vous-même, que le recours à l’Espéranto pourrait être de nature à faciliter les échanges internationaux. Il impliquerait toutefois que tous les pays adoptent une position commune en sa faveur.
L’introduction de l’enseignement de l’Espéranto dans notre système scolaire ne pourrait être envisagée qu’à la place d’une autre discipline ou en plus des matières déjà proposées.
En tant que discipline alternative, son enseignement se ferait nécessairement au détriment de l’étude d’une langue étrangère. Nos partenaires ne manqueraient pas alors de nous en faire le reproche et les mesures qu’ils pourraient prendre à leur tour pourraient affecter la place de l’enseignement du français à l’étranger.
S’il devait s’agir d’une discipline supplémentaire, elle entraînerait pour les élèves une surcharge horaire. Il ne serait guère possible de leur demander cet effort particulier au moment où un allègement des programmes d’enseignement est envisagé.
Toutefois, compte tenu de l’intérêt que l’Espéranto peut susciter en tant qu’outil de communication, il importe que ceux qui le souhaitent puissent bénéficier de son enseignement dans le cadre des activités laissées à l’initiative des établissements, dans le respect de la réglementation et des procédures prescrites par la loi de décentralisation.
Veuillez agréer, Monsieur le Sénateur et Cher ami, l’expression de mes sentiments les meilleurs.
Lionel JOSPIN

Qu’en sera-t-il maintenant ?

Si le ministre Jospin s’était donné la peine d’étudier le dossier de l’espéranto, en particulier des rapports relatifs à des expériences réalisées en divers pays, il aurait pu constater que son enseignement représente un gain de temps, donc une économie, pour l’apprentissage des langues étrangères et qu’il est bénéfique aussi pour d’autres matières. Il n’y avait pas lieu de penser que cet enseignement “se ferait nécessairement au détriment de l’étude d’une langue étrangère”. Comme l’a souligné récemment le prix Nobel Reinhardt Selten, c’est par l’espéranto que devrait commencer l’apprentissage des langues étrangères. Croire que l’enseignement de l’espéranto pourrait “affecter la place de l’enseignement du français à l’étranger”, c’est précisément l’inverse qui pourrait être atteint. L’espéranto peut attirer vers l’étude du français. C’est une question de volonté politique — voir : “Quel parti la langue française peut-elle tirer de la défense et de l’illustration de l’espéranto ?

Ensuite, pour qu’il y ait une “position commune”, il faut bien, au départ, qu’il y ait une initiative, une proposition d’au moins un des partenaires. L’argument de Claude Allègre et de ses successeurs faisant état d’une “absence de support littéraire” est tout aussi dénué de fondement et même lamentable. A l’heure d’Internet, les mots clés “littérature espéranto” livrent des adresses de 1 250 000 pages en français sur ce sujet et “literaturo esperanto” 223 000...

Sommes-nous encore en 1887 ou en 2007 ?...

Ne voulant pas le moins du monde atténuer la valeur des autres langues actuellement enseignées, je pense que l’enseignement de l’espéranto aux degrés élémentaires présente plusieurs avantages : il a été prouvé expérimentalement que l’espéranto constitue un excellent pont pour l’étude des autres langues, car grâce à sa simplicité de structure et de vocabulaire, il brise la résistance initiale de l’élève moyen unilingue. Il renforce en même temps son vocabulaire de mots étrangers et crée chez l’enfant une confiance en sa propre capacité d’étudier et d’assimiler des langues étrangères.

Mario PEI

Linguiste, professeur de philologie à l’université de Columbia (New York) et auteur de plusieurs ouvrages dont “The story of E n g l i s h”, “One Language for the World”, “What’s in a Word ? Language Yesterday, Today and Tomorrow” (Hawthorn Books, New York, 1968).