Lorsque la Chine s’éveilla à l’espéranto

Publié le merkredo 22a februaro 2006

Comme membre du gouvernement de Sun Yatsen, Tsaï Yuanpei (1868-1940) fut le tout premier ministre de l’éducation au monde, en 1912, à décider l’introduction de l’espéranto dans les écoles normales.

Durant ses études en Allemagne, de 1907 à 1911, Tsaï Yuanpeï apprit l’espéranto et perçut tout de suite ses potentialités. Bien d’autres étudiants chinois en Europe, notamment en France, en vinrent à la même conclusion, en particulier Pa Kin, l’une des plus grandes figures de la littérature chinoise.

Outre sa décision d’introduire l’espéranto dans les écoles normales, Tsaï Yuanpeï donna des instructions afin que des cours soient ouverts au ministère de l’éducation. Décision empreinte de logique puisqu’en France, au plus haut niveau, ceux qui ont décidé (mis à part Jean Zay en 1938) et décident toujours de la politique éducative et linguistique ignorent même leur ignorance en matière d’espéranto.

La langue chinoise diffère beaucoup des langues occidentales. Dans la situation actuelle, la Chine ne peut absolument pas ne pas entrer en contact avec d’autres pays et ne peut pas ne pas apprendre quelques chose des autres pays. Pour cette raison, la Chine ne peut se dispenser d’avoir une langue auxiliaire, et l’espéranto est la mieux adaptée”, avait dit Tsaï Yuanpeï lors d’une conférence prononcée à Changhaï. Il avait poursuivi : “De nombreux étrangers visitent notre pays et souffrent de difficultés dans l’apprentissage de la langue chinoise. Si nous maîtrisions tous l’espéranto, alors il y aurait non seulement plus d’éléments dans l’Espérantie, mais ce serait suffisant pour les étrangers qui souhaitent venir en Chine. Et ceci peut en outre propager l’espéranto, ce qui est notre devoir.
En pédagogue, il expliqua un autre avantage concernant l’apprentissage préalable de l’espéranto pour les Chinois du fait qu’il apporte plus de facilités pour apprendre ensuite des langues occidentales : ”Si la première langue apprise sera l’espéranto, ceci aidera certainement à l’apprentissage d’une seconde langue étrangère”. Cette méthode est aujourd’hui utilisée avec profit en Chine, mais c’est l’anglais qui en bénéficie en premier alors que le français, du fait de la politique négative des gouvernements successifs à l’égard de l’espéranto, glisse vers le statut de langue sans grand intérêt.

En 1917, devenu recteur de l’Université de Pékin, Tsaï Yuanpeï décida d’introduire l’espéranto comme matière facultative à la faculté de langue chinoise puis, en 1921 comme matière officielle. La même année, à Canton, la 7ème Conférence nationale de l’éducation accepta que sa décision de 1912, lorsqu’il était ministre, soit rendue effective et même étendue progressivement aux établissements d’enseignement secondaire et primaire. Les circonstances ne permirent pas la réalisation de cette décision, mais elle donna une forte impulsion à la propagation de l’espéranto en Chine.

Le 6 août 1921, la Conférence du Pacifique sur l’éducation, qui se tint à Honolulu, États-Unis, accepta de lui la proposition que les pays participants enseignent l’espéranto aux élèves âgés de plus de dix ans dans les écoles élémentaires et traduisent leurs livres en espéranto.
Il y aurait beaucoup plus à écrire sur Tsaï Yuanpeï, ce défenseur de l’égalité des sexes qui avait perçu la dimension humaniste et pratique de l’espéranto et, d’une façon générale, sur l’histoire de l’éveil de la Chine à l’espéranto qui a commencé voici bientôt un siècle.

La Chine fut l’un des douze pays qui, en 1921, apportèrent leur soutien à une proposition concernant l’espéranto à la SDN. C’est justement la même année que le gouvernement français s’opposa farouchement à l’espéranto alors que même celui de Grande-Bretagne avait une attitude intelligente et ouverte à son égard. La Chine renouvela son soutien en 1985, à Sofia, lors du vote d’une recommandation de la conférence générale de l’Unesco.

Quelques espérantistes chinois (dont Pa Kin) ont participé au projet de transcription phonétique de la langue chinoise (1954) puis au travaux du Comité de réforme de la langue chinoise qui ont abouti, en 1982, à l’alphabet phonétique pinyin. Soutenu par Mao Tsé Toung, mais persécuté sous Tchang Kaï-Chek et durant la Révolution culturelle, l’espéranto est, depuis 1964, l’une des langues régulièrement utilisées par Radio Chine Internationale.

Surpris par l’aisance que leur donne cette langue en si peu de temps, des jeunes de Chine, du Japon, de Corée et du Vietnam sont aujourd’hui en contact sur un site nommé “La Amikeco” (l’amitié).

Henri Masson

Article paru sur AgoraVox