Lula et la langue des maîtres

Publié le mardi 8 juillet 2003 par admin_sat , mis a jour le jeudi 26 mars 2009

Dans son édition réticulaire du 4 juin 2003, le quotidien brésilien Folha de São Paulo a publié un discours prononcé par le président Lula à son retour du sommet du G-8 qui s’est tenu à Évian. Il apparaît non seulement que Lula ne parle pas l’anglais, mais surtout qu’il n’a vraiment pas du tout envie de le parler : “Nous n’avons pas avancé qu’un peu en matière de politique extérieure. Les gens disposés à préjuger de tout ne cessaient de dire qu’il était impossible que Lula dirigeât le pays parce qu’il ne savait même pas parler l’anglais : ‘Comment réussira-t-il à parler avec Bush, avec Tony Blair ?’ Je suis en train de prouver qu’il n’est pas nécessaire de parler l’anglais pour être respecté dans le monde entier. On peut être respecté en parlant la langue de 175 millions de Brésiliens [= le portugais]”.

Publiée voici près d’un quart de siècle dans Le Nouvel Observateur (n° 753, 16-22 avril 1979), la lettre d’une lectrice canadienne de Toronto, France Floriel, montre que la question n’a jamais cessé de se poser et se posera même avec toujours plus d’acuité : “Votre article sur les différentes méthodes pour apprendre l’anglais (n° 745) me pousse à m’étonner une fois de plus de la volonté de suicide culturel collectif qui a saisi les Français depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. Tous ont l’air définitivement convaincus qu’on est à peu près inexistant sans la connaissance de la langue anglaise. Or, récemment, trois hommes au moins ont su retenir l’attention des Américains à leurs moindres paroles : le président Lopez Portillo du Mexique, l’ayatollah Khomeiny et Den Xiaoping. Aucun des trois ne parle l’anglais, ou du moins n’a daigné s’abaisser à le parler.

Ainsi, c’est par centaines de millions que des gens se prêtent à un jeu truqué, se pâment d’admiration devant la puissance des États-Unis sans se rendre compte que cette puissance s’édifie à leurs dépens, sur l’inconscience et le manque de perspicacité des peuples non anglophones. Dans le monde entier, une somme gigantesque d’efforts, de temps et d’argent est ainsi consacrée à l’acquisition d’une langue dans laquelle ne sont réellement à l’aise que les natifs, et dont l’usage renforce la domination pernicieuse et malfaisante d’un pays sur tous les autres. Celui qui contraint les autres à parler sa langue impose l’air sur lequel doivent gesticuler les marionnettes. Bien des contestataires de l’ordre économique et politique mondial sauvage qui se met en place se font, lors de manifestations avec banderoles en anglais, les hommes-sandwiches de la langue de cet ordre-là.