Réponse à des propos du ministre de l’intérieur du gouvernement britannique

Publié le dimanche 22 décembre 2002 par admin_sat , mis a jour le lundi 23 août 2004

La réaction suivante a été adressée par Claude Piron — l’auteur de l’ouvrage "Le défi des langues" (éd. L’Harmattan, Paris) — à l’hebdomadaire "European Voice", en réponse à des propos tenus par David Blunkett, ministre de l’intérieur du gouvernement britannique, selon lequel les immigrés doivent parler l’anglais chez eux pour éviter des "problèmes psychologiques" :
En ma qualité de psychothérapeute spécialisé dans les problèmes interculturels, j’ai été indigné d’apprendre que M. David Blunkett, ministre de l’intérieur du gouvernement Blair, considérait que le fait de ne pas parler anglais en famille provoquait chez les immigrants des "schizophrenic rifts" (clivages de type schizophrène). En fait, il est beaucoup plus important pour la santé psychologique d’une famille que tous puissent parler leur langue maternelle ou la langue dans laquelle, sur le moment, se formule spontanément leur pensée. Obliger les immigrants à renoncer à leur langue, c’est les priver du soutien de leur culture et de leur sentiment d’identité, c’est en faire des déracinés complets, et l’on sait que les déracinés ont une tendance plus forte que les autres aux comportements agressifs ou aberrants. Les propos de M. Blunkett témoignent d’une insensibilité aux problèmes culturels et linguistiques qui se manifeste de plus en plus souvent chez les personnes de langue maternelle anglaise. Ils sont à rapprocher de l’affirmation qu’a assénée à M. Hervé Lavenir de Buffon un sénateur étatsunien selon lequel "Il y a 6000 langues dans le monde, 5999 de trop, l’anglais doit suffire" [1]. La langue maternelle est la base de tout développement culturel ultérieur.

C’est le fondement sur lequel se développent les facultés psychiques, la perception du monde, le sentiment d’existence. La rejeter, c’est transmettre à la personne le message : "Tu n’es pas ce que tu devrais être, oublie ce que tu es, deviens ce que nous sommes." C’est un meurtre psychique. Par ailleurs, le refus du bilinguisme de plus en plus fréquent chez les peuples de langue anglaise équivaut à une mutilation de l’esprit. On ne perçoit le monde en relief que si les deux yeux fonctionnent bien. De même, on ne comprend en profondeur ce qui se passe que si l’on peut y penser selon deux axes linguistiques. En privant leur population de la vision stéréoscopique que donne la connaissance d’une langue étrangère, les États de langue anglaise s’enferment dans une mentalité qui empêche leurs citoyens de comprendre les sociétés différentes des leurs. À terme, cela pourrait s’avérer plus dangereux que le terrorisme. La tendance à l’ "English Only" dans les pays de langue anglaise est d’autant plus déplorable qu’il existe un moyen simple, rapide et peu coûteux d’assurer le bilinguisme permettant une vision non-égocentrique du monde : le bilinguisme langue maternelle — espéranto. Tout chercheur honnête pourra vérifier que ce moyen a vraiment fait ses preuves.