Le "principe de précaution"

Publié le mercredi 15 novembre 2000 par admin_sat , mis a jour le dimanche 8 août 2004

"L’anglais est la langue la plus inadaptée à la communication internationale".
C’est sous ce gros titre que le quotidien suisse "Le Temps" (21. 09.2000) a consacré sa page "Société — Culture" à un entretien avec Claude Piron.
Ancien traducteur de l’ONU et de l’OMS pour l’anglais, l’espagnol, le russe et le chinois, auteur de l’ouvrage "Le défi des langues" (éd. L’Harmattan), Claude Piron a connu un parcours peu ordinaire. Il a acquis un niveau élevé de compétence pour ce qui touche l’étude des résultats d’un enseignement des langues très coûteux auquel il faut ensuite pallier par la traduction et l’interprétation, elles-mêmes très coûteuses.

Une colonne sur les six est consacrée à Marion, 24 ans, fille de Mireille Grosjean, professeur de langues et pédagogue. Marion enseigne l’espéranto avec le français à Romain, son fils de deux ans, et elle a conscience d’être parvenue à un niveau d’élocution nettement plus élevé en espéranto qu’en anglais et allemand, deux langues apprises beaucoup plus longtemps.

Précautions à sens unique
Suite à l’accident du Concorde sur Goussainville, le "principe de précaution" a été invoqué pour l’interdire de vol alors que British Airways avait équipé ses propres appareils d’un dispositif pour éviter la projection d’objets pouvant endommager des organes vitaux, dont les réservoirs.

Air France avait négligé cette précaution.
Le principe de précaution ne devrait-il pas inciter à éviter les compagnies aériennes qui participent au conditionnement en faveur du tout anglais mais qui omettent d’en faire usage pour s’inspirer des moyens d’écarter de graves risques techniques ?
Par ailleurs, la pièce qui a provoqué l’accident a été perdue par un Boeing dont le type a déjà eu ce genre d’incident et continue pourtant, sans précautions, de semer des risques mortels sur les pistes.

Handicap dangereux
Le principe de précaution ne devrait-il pas s’appliquer aussi, avec la même rigueur que pour les aspects techniques, à la langue imposée dans la navigation aérienne non point en raison d’une fiabilité supérieure, mais de visées dominatrices instaurant une dépendance par rapport au pays qui, non sans complicités, l’a imposée ?

La revue "Sciences et avenir" avait effleuré le problème en février 1993 : "Une bonne partie des accidents d’avion auraient pour cause essentielle l’usage de la radio qui assure la liaison entre le sol et l’avion. Car en dépit d’une langue commune — l’anglais — il arrive très fréquemment que les interlocuteurs se comprennent mal, ne serait-ce que du fait d’une mauvaise prononciation."

Il ressort d’une enquête publiée par le quotidien italien "La Repubblica" (5.7.1996) que 11% des accidents aériens ("crashes") sont imputables à une communication linguistique défaillante dans la langue qui règne sans partage : l’anglais.
En se simplifiant, l’anglais a laissé de nombreuses relations grammaticales inexprimées. Son intonation a une très grande importance mais demeure insaisissable pour beaucoup. Sa phonétique et son accent sont parmi les plus chaotiques qui soient.

Avec l’humour sans lequel on imagine mal un bon Anglais, le professeur John C. Wells avait dit à ce propos, en 1987, lors d’une conférence présentée en espéranto au Centre Pompidou dans le cadre d’une réunion culturelle organisée par SAT : "Chomsky et des amis ont réussi à fournir un ensemble de règles extrêmement compliquées qui, avec cinq règles principales et quarante classes d’exceptions, et cent-vingt classes d’exceptions aux exceptions, vous permettent de déterminer avec justesse la position de l’accent sur 90% des mots."

Pile : je décolle. Face : ...
La plus meurtrière des catastrophes de l’aviation civile s’est produite le 27 mars 1977 sur l’aéroport de Tenerife.
Le pilote néerlandais de la KLM avait interprété de manière erronée le message de la tour de contrôle comme une autorisation de décoller et confirmé la réception d’une manière qui faisait comprendre à celle-ci qu’il était en place et attendait l’ordre de décollage. La brume empêchait par ailleurs le pilote de voir qu’un Boeing 747 de la Pan Am se trouvait déjà sur la piste. 583 des 643 personnes à bord des deux avions périrent dans la collision au sol.

S’il y avait des soupçons sur l’origine de 11% des échecs dans le lancement de satellites , il y aurait du "brainstorming" (tempête des cerveaux) dans l’air, c’est-à-dire du "remue-méninges" pour en déterminer la cause, et un sérieux remue-ménage pour y remédier. La précision est poussée au maximum lorsqu’il s’agit des techniques : usinage des pièces, montage, etc. Pourquoi la même rigueur n’est-elle pas appliquée pour la communication linguistique ?
Kent Jones est de ceux qui bravent les tabous. Spécialiste des questions de l’approche radar à l’atterrissage dans des conditions extrêmes, cet ingénieur de Chicago, s’est senti plus directement concerné lorsque l’ami de sa fille a péri dans une catastrophe aérienne en Colombie à cause d’une mauvaise compréhension en anglais entre le pilote et la tour de contrôle.

Malgré des tabous aussi lourds contre la remise en cause de l’anglais dans le rôle de langue internationale de l’aviation et autres applications, que pour la prise en considération de l’espéranto dans celui de langue claire et accessible à toutes les couches de la population de quelque pays que ce soit, des voix osent, justement aux États-Unis, aller à l’encontre des idées reçues pour que soit observée la même rigueur par rapport à la question d’une langue de l’aviation.

Kent Jones a écrit à diverses institutions dont l’Organisation de l’Aviation Civile Internationale (ICAO). Mais voilà : Sainte Routine veille à ce que nul ne sorte de la profonde ornière tracée par un pays qui trouve avantage à l’approfondir, à s’y maintenir et à maintenir les autres. Il a donc écrit au président de l’Assemblée générale de l’ONU pour que les États-membres soient informés. Affaire à suivre.