B – CONFRONTATION DE L’IMAGE ET DE LA RÉALITÉ

Publié le vendredi 20 mai 2005 par admin_sat , mis a jour le dimanche 15 mai 2005

1. L’espéranto, langue que personne ne parle ?

"Parlée nulle part (...), elle [la langue "espéranto"] n’existe que dans les revendications de ses adhérents" [1]

"La langue est trop intimement liée à la pensée, diton ;
c’est pourquoi on ne peut pas parler une langue artificielle"
[il s’agit de l’espéranto] [2].

Voilà deux affirmations typiques qui se révèlent erronées dès qu’on procède à la vérification.
Depuis 1986, l’espéranto a été chaque jour, quelque part dans le monde, la langue d’une rencontre internationale, d’une session, d’une conférence ou d’un congrès, voire de cours universitaires [3].

L’observateur qui assiste à quelques-unes de ces rencontres constate que l’espéranto y est bel et bien la langue de communication. Si le niveau linguistique diffère selon la manifestation et varie d’une personne à l’autre, on peut dire que, dans l’ensemble, l’espéranto est parlé avec beaucoup d’aisance par la majorité des participants, qui appartiennent souvent à des régions linguistiques
très différentes [4].

Bien des voyageurs sachant l’espéranto rencontrent des usagers de cette langue dans les pays étrangers où ils se rendent. De nombreux jeunes parcourent ainsi le monde en logeant dans des familles qui pratiquent la langue de Zamenhof et qui sont heureuses d’accueillir des étrangers,
souvent gratuitement. Celles-ci publient leurs coordonnées dans des brochures telles que Pasporta Servo [5], qui offre des possibilités d’hébergement dans plus de 80 pays [6].

Par ailleurs, le chercheur se doit de noter que certaines institutions, comme l’Universala Esperanto Asocio
(Rotterdam), le Kultura Centro Esperantista (La Chaux-de-Fonds) et l’lnternacia Kultura Servo (Zagreb) ont un personnel qui, dans les multiples interactions de la vie quotidienne, ne s’exprime qu’en espéranto.

S’il pousse suffisamment ses recherches, il découvrira qu’il existe des couples qui se sont formés dans le milieu espérantophone et dont l’espéranto est le seul moyen de communication : il y a des enfants dont c’est la langue maternelle. Lorsqu’il ajoutera les réunions de clubs et groupes locaux, les communications téléphoniques et les programmes radiophoniques réguliers [7], il sera forcé de conclure que l’idée relativement répandue selon laquelle l’espéranto est une langue que personne ne parle ne
correspond pas à la réalité.

2. L’espéranto, solution déraisonnable aux problèmes de
communication internationale ?

"Pour moi, c’est assez folklorique et, d’autre part, irrationnel. L’espéranto n’est et ne sera jamais une grande langue d’échanges" [8].

"Le latin appartient au passé et l’espéranto au rêve" [9].

"Une langue inventée, artificielle, ne peut pas servir de langue commune. C’est pourquoi l’espéranto reste toujours une fantaisie" [10].

2.1 Procédure de vérification

Irrationnel, appartenant au domaine du rêve et de la fantaisie, l’espéranto, dit-on, ne saurait sérieusement être choisi comme moyen international de communication. Un tel jugement se prêtetil à la vérification ? Oui. Si l’espéranto est l’option aberrante que l’on dit, cela apparaîtra lorsqu’on le comparera aux autres formules couramment appliquées pour atteindre le même but.
Dans l’industrie, on n’écarte jamais un procédé sans l’avoir comparé à d’autres. Et lorsqu’on veut juger si un nouveau médicament peut raisonnablement être utilisé, on effectue des essais cliniques pour déterminer dans la pratique ses avantages et ses inconvénients par référence à des médications d’efficacité connue ou à un placebo. Une démarche analogue est indiquée dans le cas de l’espéranto.

Nous avons profité de missions faites pour l’Organisation mondiale de la santé en Extrême-Orient pour prendre des notes sur la communication dans des groupes multinationaux et nous avons cherché à étudier de la même manière des groupes semblables traitant de sujets analogues en espéranto. Les groupes que nous avons pu observer étaient comparables à trois critères près : ceux qui utilisaient l’espéranto comprenaient un plus grand nombre de femmes, ils n’avaient aucun statut officiel et le niveau d’instruction y était, en moyenne, légèrement inférieur à celui des autres groupes, où chaque participant avait fait des études universitaires.

Nous appellerons A les groupes employant l’interprétation simultanée anglais-français-chinois pour trois réunions du Comité régional du Pacifique occidental de l’OMS (Manille, septembre 1976 et août 1978 ; Singapour, octobre 1979), anglais-français-chinois-japonais pour le même comité réuni à Tokyo en septembre 1977. Les documents, dans cette catégorie A, étaient en anglais et en français.

La catégorie B comprend les groupes n’utilisant que l’anglais. Nous avons assisté à de nombreuses rencontres de ce genre, par exemple une visite d’institutions relevant du Ministère japonais de la Santé le 11 septembre 1977 à Tokyo et dans les environs, suivie d’une discussion ; un groupe de travail consacré à la santé publique à Kuala Lumpur en septembre 1974 ; et de nombreuses conversations lors de réceptions officielles, telles que celle offerte par le
Gouvernement de Singapour le 4 octobre 1979 aux participants au Comité régional. Seul le deuxième de ces groupes a utilisé des documents, en anglais uniquement. Dans les autres, il y a eu de brèves interventions d’interprétation consécutive non professionnelle destinées à clarifier certains points.

La catégorie C comprend les groupes n’utilisant que l’espéranto. Nous avons étudié en particulier une réunion à l’Institut japonais d’espéranto à Tokyo le 14 septembre 1977, de nombreuses séances tenues dans le cadre des congrès universels d’espéranto de Lucerne (août 1979) et Anvers (juillet 1982), ainsi que les débats organisés dans le cadre des cours donnés en espéranto au Département des Humanities de San Francisco State University en juillet 1983. Les documents, dans cette catégorie C, étaient exclusivement en espéranto.

On peut résumer comme suit les observations faites.

2.2 Compréhension mutuelle

Il y a eu des malentendus avec les trois formules. Par exemple, dans l’un des groupes A de Manille, un dialogue de sourds de trois quarts d’heure a été provoqué par la difficulté qu’avaient les interprètes à comprendre si certains membres asiatiques prononçaient biennial ou biannual, c’est-à-dire si l’on parlait de "deux fois par an" ou de "une fois tous les deux ans". A Singapour, un
Coréen parlait un anglais si incompréhensible qu’un interprète nous a dit avoir inventé la traduction de son intervention et que plusieurs participants nous ont avoué ne jamais comprendre ce qu’il voulait dire.

Dans le groupe B de Tokyo, nous avons assisté à plusieurs cas de confusion et à de nombreuses demandes d’éclaircissement tenant à des difficultés de compréhension, surtout d’origine phonétique (par exemple, confusion entre first et third prononcés avec l’accent japonais).

Dans les groupes C, les cas d’incompréhension étaient rares, mais nous en avons tout de même relevé quelquesuns
(par exemple, vento, "vent", prononcé pratiquement comme bendo, "bande (magnétique)", par un participant japonais, d’où un moment de perplexité au sein du groupe). Il semble toutefois que le petit nombre de phonèmes vocaliques de l’espéranto, son accent tonique fixe et son système de désinences en fassent une langue phonétiquement mieux adaptée que l’anglais et le français aux exigences de la communication verbale interculturelle.

2.3 Aisance et égalité

Bien que les différences individuelles aient été considérables dans les trois catégories, l’aisance des locuteurs, d’une manière générale, était nettement supérieure dans les groupes C si l’on prend comme critères la rapidité du débit, la rareté des hésitations et la capacité d’improviser (très souvent, dans les groupes A, les Asiatiques s’exprimant en anglais écrivaient le texte de leur intervention, même s’il s’agissait de deux ou trois phrases dépourvues d’importance politique ou diplomatique, détermination du moment de la pause par exemple ; ce phénomène n’a été observé dans aucun des groupes B et C).

Cette plus grande aisance s’est traduite concrètement par une propension à peu près égale des diverses nationalités à la participation, qui a nettement distingué les groupes C des groupes A et B.

Lors du comité de Manille, en 1978, le délégué japonais n’a prononcé, en une semaine, qu’une vingtaine de phrases. Comme ce même représentant s’était beaucoup exprimé sur des sujets analogues à Tokyo, où il pouvait user de sa langue maternelle, l’interprétation étant assurée à partir
du japonais, on peut présumer qu’il s’agit là d’un manque d’aisance linguistique – peut-être associé à un problème de honte en rapport avec les habitudes éducatives japonaises – et non d’un problème de tempérament ou de compétence. A la réunion en anglais tenue à Tokyo le 11 septembre 1977, le
délégué laotien n’a pas participé à la discussion, alors qu’il pouvait se faire comprendre en anglais (nous l’avions entendu utiliser cette langue dans l’autocar) ; par contre, le soir même, il a parlé avec beaucoup de vigueur dans un groupe de francophones où nous nous trouvions. Une confirmation du fait que la langue favorise la prise de parole nous a été apportée par la Conférence des
Organisations non gouvernementales en relation officielle avec l’ONU, à laquelle nous avons assisté, à Genève, du 2 au 5 juillet 1979. Alors que les associations représentées étaient d’ampleur mondiale, 87% des intervenants étaient de langue maternelle anglaise.

Pareille sélection dans la prise de parole ne s’est retrouvée dans aucun des groupes utilisant l’espéranto. Tout au plus peut-on dire que, dans le groupe de San Francisco, les Japonais intervenaient un peu moins souvent que les autres membres ; en revanche, la personne qui y parlait le plus, et avec le plus de volubilité, était une boursière chinoise venue de Shanghaï. Il est possible
que cette différence entre les groupes C d’une part, les groupes A et B d’autre part, ne tienne pas au système linguistique adopté, mais à un facteur de caractère. On n’apprend pas l’espéranto sans un désir marqué de communiquer. La composition de nos groupes a donc pu être biaisée en ce qui concerne la tendance à s’exprimer.

2.4 Etudes linguistiques préalables

Nous avons interrogé des échantillons aléatoires de participants sur leurs études de langue, en nous limitant aux sujets asiatiques afin de neutraliser la variable facilité (le suédois et l’anglais ayant une base lexicale et structurelle commune, l’assimilation de l’anglais est plus facile pour un Suédois que pour un Coréen ou un Indonésien).

La durée moyenne de l’apprentissage de la langue avait été de 10 ans chez les Asiatiques des groupes A et B s’exprimant en anglais ; elle était de deux ans chez les sujets de même origine des groupes espéranto. Par contre, la pratique de la langue, après la fin des études, a été déclarée "sporadique" par la majorité des Asiatiques des groupes A et B, alors qu’elle a été qualifiée de "fréquente" dans les groupes C. Cette pratique était limitée aux contacts professionnels et à la lecture dans les deux premières catégories ; à une exception près – un présentateur des programmes en espéranto de Radio-Pékin participant à la réunion de Lucerne – aucun des espérantophones ne se servait de la langue de Zamenhof dans le cadre de sa vie professionnelle.

2.5 Coût

L’aspect économique du problème est important, mais le calcul de ce qu’ont coûté aux États et aux individus l’acquisition de l’anglais ou du français et la formation des interprètes sortirait du cadre de notre recherche. L’étude de l’espéranto n’a été financée par l’État que dans le cas de certains Chinois.

L’interprétation simultanée et la traduction sont très coûteuses (recrutement, indemnités journalières, frais de voyage et traitement du personnel de conférence) [11] [12] [13] [14], ce qui contraste avec les formules B et C, où il n’y a aucune dépense linguistique.

2.6 Fatigue nerveuse

D’après les sondages aléatoires que nous avons faits à la fin des diverses journées de réunion, les membres des groupes A et B étaient plus fatigués nerveusement que ceux des groupes C, mais trop de facteurs non linguistiques interviennent ici pour qu’il soit possible de tirer des conclusions de ces déclarations. Nous ne mentionnons ce point que parce que plusieurs participants
des groupes A et B se sont plaints spontanément de la fatigue que représente, à la longue, l’usage des écouteurs ou le fait de suivre un débat dans une langue imparfaitement maîtrisée. Une étude objective appliquant les mesures couramment utilisées en neurophysiologie serait indispensable pour comparer honnêtement les trois formules.

Si un mode de communication linguistique privilégie certaines nations sur le plan du bien-être nerveux, c’est un facteur qui doit entrer en ligne de compte dans tout jugement relatif au caractère raisonnable ou déraisonnable des diverses options possibles.

2.7 Documentation

Pour ce qui est des documents, les groupes A devaient attendre que la traduction des textes ait été élaborée. Les groupes B et C disposaient des documents immédiatement.

2.8 Humour

Nous avons été frappé par une autre différence : le recours à l’humour était nettement plus fréquent dans les groupes C que dans les autres. Ce fait tient peut-être plus à un facteur psychologique – la rencontre d’un même type de personnalité dans des groupes sélectionnés par une démarche linguistique relativement peu courante – qu’au système de communication adopté, mais il n’est pas impossible que l’expérience d’être immédiatement compris par tous sans passer par un intermédiaire ou par une langue mal maîtrisée favorise l’expression humoristique de la pensée en conférant au débat un climat de plus grande spontanéité.

Cette interprétation est confirmée par un article récemment publié dans Le Monde au sujet du Parlement européen : l’auteur y explique que, dans ces séances, les rires sont intergroupes — c’est-à-dire suivent la répartition linguistique et non politique – et que les effets oratoires "tombent à plat" [15].

2.9 Conclusion quant à la rationalité de la formule "espéranto"

Conscients du grand risque de subjectivité que comporte une étude faite dans les conditions décrites cidessus,
nous avons essayé de trouver des rapports de recherche faisant état de comparaisons analogues, mais nous n’en avons pas découvert, bien que l’interprétation simultanée
et l’espéranto coexistent comme moyens de communication interlinguistique depuis une quarantaine d’années. Nous pouvons tout de même signaler au lecteur le texte d’une conférence d’un fonctionnaire européen, M.M. Cwik [16], qui a assisté à deux congrès internationaux siégeant simultanément à Vancouver en juillet 1984 ; l’un de ces congrès utilisait l’espéranto, l’autre l’anglais. Il est intéressant de remarquer que M. Cwik, qui ne connaissait pas nos travaux, confirme à tous égards nos observations.

Dans ces conditions, il nous paraît difficile d’admettre que, comme le veut l’image courante de l’espéranto, le type de communication que permet cette langue soit irrationnel ou relève du domaine du rêve. S’il n’est pas irréprochable, il n’est certainement pas plus imparfait que l’interprétation simultanée ou que l’emploi d’une langue ethnique unique.

3. L’espéranto, "langue inventée" ?

L’espéranto a été "créé en 1887 par le Dr Zamenhof" [17].

"il fut inventé par L. Zamenhof" [18].

Il est sorti "casqué et botté un jour de 1887 de la tête du Dr Minerve allas Zamenhof" [19].

L’objet de notre recherche étant l’espéranto utilisé dans la communication internationale au cours de la décennie 1974-1984, ces assertions sont inexactes. Ce que Zamenhof a publié en 1887 sous l’appellation de Langue Internationale – son projet n’avait pas de nom à l’époque – ce n’était pas une langue, c’était une proposition, un langage inachevé dont il espérait la transformation par l’usage en une langue réellement vivante. Il a dit luimême : "Je n’ai pas tardé à comprendre qu’il serait préférable qu’au début la langue ne contienne que les éléments les plus indispensables et que je laisse à la vie le soin de la compléter" [20].

C’est par un processus très complexe d’interactions entre créateurs spontanés (les usagers, et notamment la partie de la collectivité ayant le plus de verve), créateurs-chercheurs (écrivains) et codificateurs (grammairiens, enseignants) que le code initial s’est étoffé et adapté aux nécessités de la communication interculturelle jusqu’à devenir une véritable langue.

Les espérantophones ont toujours beaucoup écrit et beaucoup publié. Les documents ne manquent donc pas pour suivre cette évolution. Si l’on se livre à cette étude, on découvre la mise en jeu, souvent anonyme et inconsciente, de mécanismes linguistiques d’ajustement mutuel provoquant des glissements sémantiques, des innovations grammaticales et lexicales et le passage en désuétude d’un certain nombre de formes et de racines [21].

Par exemple, dans une circulaire en espéranto de l’Association mondiale de cybernétique, d’informatique et de systématique en date du 8 octobre 1984 [22], on trouve le mot jeskaze, qui signifie "au cas où vous êtes d’accord", "si votre réponse est affirmative". Ce mot est formé des monèmes jes, "oui", kaz, "cas", et – e, morphème circonstanciel. L’emploi de kaz dans ce sens est d’origine occidentale, il n’appartient pas au lexique de Zamenhof ; celui de jes dans ce type de formation est d’origine extrêmeorientale ; et le recours à la terminaison — e plutôt qu’à une particule résulte d’une évolution interne qui s’est produite dans toute la diaspora espérantophone au cours de la même période. Dans la langue à extérieur roman et à substrat slave qu’utilisait Zamenhof, on aurait dit en okazo de konsento, formule d’ailleurs encore parfaitement correcte aujourd’hui.

A vrai dire, même si on se limite au projet de Zamenhof, des mots comme créé ou inventé ne donnent pas une image exacte de la réalité. Ils négligent le fait que la majorité des éléments linguistiques incorporés par Zamenhof dans son projet sont des emprunts, non des inventions, et ils évoquent une planification, une schématisation a priori, alors que Zamenhof procédait a posteriori : il élaborait son projet en composant des poèmes et en traduisant des œuvres littéraires dans un langage qu’il forgeait au fur et à mesure ; [23] [24] il procédait par essai, erreur et correction d’erreur, introduisant constamment des retouches destinées à rendre l’embryon linguistique aussi souple et expressif que possible, tout en le dotant de traits structurels propres à en favoriser le développement spontané une fois le projet adopté par une collectivité. Cette façon d’agir tient
plus de la production artistique que de l’établissement du plan d’une machine.

Une affirmation comme "l’espéranto est une langue créée en 1887 par un seul homme" ne correspond donc ni à la réalité linguistique ni à la réalité historique. L’espéranto d’aujourd’hui est le résultat d’un foisonnement de communications interethniques qui ont couvert une partie
considérable de la planète pendant quatre générations au sein d’une collectivité de type "diaspora" sur la base d’un projet linguistique exposé dans une petite brochure parue à Varsovie en 1887.

4. L’espéranto, langue européenne ?

"Pourquoi les Japonais et les Chinois chercheraientils
à s’exprimer dans une langue comme l’espéranto, puisqu’elle est indo-européenne" [25].

"L’espéranto (...) est une langue européenne de par ses structures" [26].

De telles affirmations sont fréquentes. En ce qui concerne la première, il est intéressant de constater que l’auteur, certainement de très bonne foi, n’imagine pas qu’il puisse y avoir une vérification à faire. S’il avait étudié les faits, il aurait formulé sa question autrement : "Pourquoi
tant de Japonais et de Chinois utilisent-ils l’espéranto, alors que c’est une langue apparemment indo-européenne ?".

En effet, la Chine est actuellement le pays où la demande de cours d’espéranto est la plus forte [27] [28], et la vigueur de la collectivité espérantophone au Japon frappe tous ceux qui lisent les périodiques publiés en espéranto dans ce pays [29].

La revue Gengo, l’une des publications de linguistique les plus prestigieuses du Japon, a consacré à l’espéranto la majeure partie de son numéro d’octobre 1983 (20 articles) [30]. Ces articles confirment, si besoin était, l’importance de l’implantation de l’espéranto au Japon [31].

Les deux citations reproduites ci-dessus classent l’espéranto parmi les langues indo-européennes.
De même, bien des linguistes qui mentionnent incidemment l’espéranto le décrivent comme flexionnel et analytique. Ces qualificatifs ne correspondent pas à la réalité.
Certes, le lexique de l’espéranto est d’origine européenne et sa phonologie évoque un dialecte italien mâtiné de serbo-croate.

Mais l’espéranto repose sur deux principes structurels étrangers aux langues occidentales. Le premier – l’invariabilité absolue des monèmes – ne se retrouve que dans les langues isolantes et dans quelques langues agglutinantes (mais non dans la majorité de celles-ci, où la loi de l’harmonie vocalique introduit des variations dans les monèmes grammaticaux). Le deuxième – l’analyse grammaticale immédiatement perceptible – accompagne souvent un indice élevé d’agglutination et ne se présente avec la même rigueur dans aucune langue flexionnelle, donc dans aucune langue indo-européenne.

On voit qu’il faudrait introduire d’importantes nuances pour ne pas trahir la vérité lorsqu’on présente l’espéranto comme une langue européenne. Il en est de même lorsqu’on qualifie cette langue d’ "analytique". L’un des traits les plus étonnants de l’espéranto est que les énoncés synthétiques y sont aussi fréquents que les énoncés analytiques. Par exemple, l’idée "j’irai au congrès en voiture" peut s’exprimer soit sur le mode analytique : mi iros al la kongreso per aŭto , soit sur le mode synthétique : kongresen mi aŭtos ou mi alkongresos aŭte .

L’étude des textes montre que les formes synthétiques sont très courantes même lorsqu’elles n’existent pas dans la langue maternelle de l’auteur. Le slogan de la Jeunesse espérantophone italienne Kie paski ? Italuje !, "Où passer les fêtes de Pâques ? En Italie !", lancé il y a quelques années, notamment sous forme d’autocollants, a une formulation plus synthétique que sa traduction latine, alors que le latin est souvent cité comme exemple typique de langue synthétique.

Cet exemple, comme celui de jeskaze mentionné cidessus,
montre bien l’écart structurel qui sépare l’espéranto des langues indo-européennes modernes. Des formes verbales comme videblas, "peut être vu", rimarkindas, "il vaut la peine de remarquer", ou seriozemi, "avoir tendance à se montrer sérieux", sont plus proches des formes turques que de leurs traductions dans les langues d’Europe occidentale auxquelles l’image courante assimile à tort l’espéranto.

5. L’espéranto, langue rigide et inexpressive ?

"En ce qui concerne l’espéranto, M. Barbalace ne croit pas que ce soit une langue souple et expressive" [32].

"Il est vrai aussi que l’espéranto est une langue rigide" [33].

5.1 Souplesse

Pour déterminer si l’espéranto est souple, le meilleur test consiste à le comparer aux autres langues dans la situation qui comporte le plus de contraintes : la traduction de poèmes et, surtout, de chansons. Face à l’obligation d’être fidèle au sens, de rendre le caractère évocateur des mots, de respecter le rythme et la place des rimes de l’original, une langue rigide donnera nécessairement un résultat bien inférieur aux autres langues soumises à la même épreuve.

Comme les espérantophones sont très portés sur la traduction des chansons de leurs pays et des chefs-d’œuvre
de leurs littératures respectives, le matériel ne manque pas pour qui veut procéder à cette comparaison.

Plusieurs études ont été consacrées à cet aspect du problème [34] [35] [36] et le lecteur qui souhaite faire le tour de la question aura tout intérêt à s’y référer. Nous nous bornerons donc à présenter ici un seul exemple. Les confucianistes ont condensé en quatre mots chinois une sentence recommandant aux pères et aux fils de s’en tenir à leurs places respectives dans la société.

L’espéranto peut rendre l’idée, lui aussi, en quatre mots : la formule patro patru, filu fil’ est fidèle à la fois au sens et au ton de l’original. Aucune langue occidentale n’a cette souplesse. Une formule française comme que le père se conduise en père et le fils en fils est une traduction moins fidèle, parce que plus précise que l’original ; en outre, tout l’impact de la concision chinoise y est perdu. Rien n’empêche toutefois de la traduire littéralement : patro kondutu kiel patro, filo kiel fil’ (ou kiel filo). Dans un espéranto un peu moins littéral, mais plus élégant, on pourra dire également : patro patre agu, filo file. La souplesse de la langue de Zamenhof est incontestable : l’association d’une combinatoire sans faille et d’un ordre des mots très libre permet au traducteur de disposer pour chaque phrase de bien plus de possibilités que dans une langue comme le français.

5.2 Expressivité

Quant à l’expressivité, comment la tester ? Il n’existe pas de critère objectif. On peut d’ailleurs se demander si l’expressivité ne dépend pas plus du locuteur que de la langue. Du moment qu’une langue existe, on peut être assuré qu’il y aura parmi ses usagers des personnes plus
créatrices que les autres, ayant davantage le sens de la métaphore ou de l’humour, ou plus sensibles au pouvoir évocateur des rimes et des allitérations.

L’esprit humain est ainsi fait que les métaphores sont inter-assimilables d’une culture à l’autre. Les expressions chinoises shimian et xinao ont été traduites littéralement dans toutes les langues d’Europe occidentale, où elles se sont fait une place dans le langage courant, devenant respectivement perdre la face et lavage de cerveau. Dans une publication russe [37], nous avons même relevé l’expression поставить точки над "и" traduction littérale de mettre les points sur les i, alors que le i n’a pas de point dans l’écriture cyrillique ! Les interactions entre membres de la diaspora espérantophone ont introduit dans la langue toutes sortes de connotations et d’emplois métaphoriques qui ont largement contribué à rendre la langue expressive.

Le meilleur moyen d’étudier l’expressivité de l’espéranto consiste sans doute à lire dans l’original les poètes qui s’expriment dans cette langue. Une anthologie publiée en 1984 [38] offre au chercheur intéressé 706 poèmes, dus à 163 poètes de 35 pays des cinq parties du monde. Le lecteur sceptique pourra s’y reporter, quitte à se faire aider pour la compréhension des textes par une personne sachant bien l’espéranto.

A vrai dire, la tâche de cette dernière ne sera pas aisée. Marton mi mozaikis vorte, dit par exemple le poète V. Sadler [39]. La traduction "J’ai fait avec des mots une mosaïque représentant le mois de mars" est lourde au point d’être une véritable trahison, car l’effet poétique est obtenu, en grande partie, par la concision d’une formule où le concept "mosaïque" est employé sous forme de verbe transitif.

L’expressivité de l’espéranto est assurée par quatre facteurs :
1) les structures grammaticales (voir l’exemple du paragraphe précédent) ;
2) la forme de nombreux mots : tuj (prononcé "touille ») paraît plus énergique que sa traduction "tout de suite" à la plupart des espérantophones français et c’est plus vrai encore de la forme redoublée tujtuj, "immédiatement" ;
3) la conservation, par les emprunts, des harmoniques de la langue de départ : le monème hejm, "foyer", "maison", dégage une atmosphère du type "se sentir bien chez soi" qu’aucune traduction littérale ne peut rendre ;
4) le système de formation lexicale : amikumi, "passer le temps entre amis", "vivre dans le concret une relation amicale", "apprécier l’atmosphère amicale de… ", désigne un vécu universel que peu de langues expriment de façon aussi évocatrice.

Est-il vrai que l’espéranto est inférieur aux autres langues parce qu’il ne se prête pas à l’insulte ? Un linguiste néerlandais, étudiant un groupe d’enfants lors d’une rencontre de familles espérantophones réunies à Sümeg (Hongrie) du 7 au 12 août 1983, a remarqué qu’ils n’utilisaient pas de gros mots, contrairement à des groupes comparables d’enfants s’exprimant dans leur langue maternelle [40]. Mais si l’on replace cette constatation dans le contexte général de ce que nous pouvons apprendre par ailleurs sur l’injure ou le langage grossier en espéranto, il semble bien qu’il faille invoquer, en l’occurrence, d’autres facteurs qu’une lacune de la langue : la conférence de Michel Challulau sur le juron en espéranto [41], le sketch d’Henri Vatré "Le brochet" [42] et les paroles que prononce le capitaine Haddock dans la version en espéranto du Crabe aux pinces d’or [43] témoignent des vastes possibilités qu’offre cette langue à celui qui désire exprimer sa colère ou sa mauvaise humeur.

L’expressivité de l’espéranto dans le domaine érotique n’est pas moins grande, comme pourra le constater tout linguiste soucieux de se familiariser avec la littérature pertinente [44] [45]. En conclusion, il paraît difficile de refuser à l’espéranto une expressivité comparable à celle de la plupart des langues littéraires si on l’étudie en linguiste, c’est-à-dire en analysant des enregistrements de conversation ou des documents écrits.

6. L’espéranto, langue sans culture ?

"L’espéranto n’est pas porteur de culture" [46].

"Préconiser l’espéranto, dépourvu, et pour cause, d’histoire et de littérature" [47].

"L’Europe des cultures : oui, pas celle de l’espéranto" [48].

L’image courante de l’espéranto est celle d’une langue sans passé littéraire et culturel [49].

Il est vrai que l’espéranto est une langue jeune, puisqu’elle a à peine plus d’un siècle d’existence, mais
bien des événements peuvent se produire en cent ans sur le plan culturel. En Chine, en 1887, la seule langue écrite était le wenyan, qui diffère autant du chinois écrit actuel que le latin de l’italien. Le chinois littéraire d’aujourd’hui est donc plus jeune que l’espéranto.

Pourtant, nul ne lui conteste le statut de langue pouvant servir à la communication. C’est cette langue récente, et
non le wenyan séculaire, qui est utilisée à l’ONU et dans les autres organisations où le chinois est langue officielle.

6.1 Littérature

Cela dit, comment juger ? Dire qu’il y a tant d’œuvres littéraires en espéranto ne permet pas de conclure à l’existence d’une culture : il pourrait s’agir d’œuvres dépourvues d’originalité et d’intérêt culturel. Le raisonnement suivant livrera peut-être un début de réponse suffisamment objective. L’espéranto existe depuis tout juste un siècle. Or, il a toujours eu beaucoup plus
d’adversaires et de critiques que de sympathisants, surtout dans les milieux intellectuels. En moyenne, sur dix auteurs qui mentionnent l’espéranto, neuf portent sur lui un jugement défavorable. Comme bon nombre de ces critiques reprochent à l’espéranto son absence de littérature, on pourrait s’attendre à voir ces jugements négatifs réfuter les affirmations des rares auteurs qui défendent la thèse d’une valeur culturelle réelle de l’espéranto.

Or, malgré de longues recherches, nous n’avons pas découvert une seule étude qui, partant d’une analyse des œuvres publiées en espéranto, démontre que celles-ci
n’ont aucune qualité littéraire et conclue à l’inexistence d’une culture espérantophone. L’ensemble des personnes qui
traitent de l’espéranto comprend donc deux sous-ensembles
 : il y a d’un côté les critiques, dont aucun ne nous dit avoir lu ne fût-ce qu’une seule œuvre littéraire publiée dans cette langue, et de l’autre les personnes qui ont pris la peine d’étudier cette littérature et qui toutes concluent à l’existence d’une culture digne de ce nom [50] [51] [52] [53] [54] [55].

Ce clivage est particulièrement éloquent si l’on tient compte de la compétence des auteurs pour lesquels l’espéranto est une langue littéraire, porteuse de culture. H. Tonkin, par exemple, est un spécialiste de Shakespeare, professeur de littérature anglaise et recteur, jusqu’à sa récente retraite, de l’Université de Hartford (Connecticut) ; P. Janton, qui a consacré un chapitre entier à la littérature dans son Que sais-je ? sur l’espéranto [56], est professeur de littérature américaine à l’Université de Clermont-Ferrand ; Bajin (ou Bakin ; le Larousse en trois volumes transcrit ce nom Pa Kin) est considéré par la plupart des critiques littéraires comme l’un des meilleurs romanciers chinois contemporains [57] ; or, il est vice-président de la Ligue chinoise d’espéranto et a, maintes fois, exprimé sa totale confiance dans la valeur culturelle de la langue issue du projet de Zamenhof [58].

D’autres faits confirment si besoin était que l’espéranto est bel et bien porteur de culture.
C’est ainsi que le Ministère japonais de l’éducation a inscrit la traduction japonaise d’un roman original en espéranto parmi les quatre meilleures oeuvres traduites dont l’étude était recommandée aux jeunes [59].

Enfin, le fait que l’espéranto ait suscité deux formes poétiques sans équivalent dans d’autres langues, dont l’une ne serait d’ailleurs pas transposable dans un autre univers culturel, car elle est liée à la structure particulière de l’idiome, témoigne de la créativité du monde espérantophone [60].

On voit qu’il existe de très fortes présomptions en faveur d’une réelle valeur de la littérature espérantophone. Mais est-ce suffisant pour qu’on puisse parler de culture ?

6.2 Activité culturelle

Commençons par noter qu’il y a, en tout cas, activité culturelle : périodiques spécialisés (il paraît en espéranto trois revues littéraires et une revue de philosophie), rencontres culturelles, cours
universitaires donnés en espéranto, etc… Il suffit de parcourir le programme de l’un des grands congrès dits "universels" – le terme festival serait, à notre avis, plus proche de la réalité – pour découvrir la variété des manifestations culturelles qui y sont proposée. Pour prendre un exemple précis, au congrès de Göteborg, en été 2003 [61], les conférences données par des professeurs
d’université dans le domaine de leur spécialité allaient de l’explosion des connaissances astronomiques au cours des cinq dernières décennies (Prof. H.M. Maitzen, université de Vienne) à la communication par les membranes cellulaires (E. Paraŝkeva Bojaĝieva, prof. de biochimie à la
Faculté de Médecine de Plovdiv, Bulgarie) en passant par les enjeux économiques de la mondialisation (Prof. Lee Chong-Yeong, université de Kyongpuk, Corée). Le congressiste avait également le choix entre plusieurs pièces de théâtre, plusieurs concerts et une présentation de films lituaniens en espéranto.

6.3 Perception du monde

Y a-t-il culture au sens de façon de sentir, d’aborder le réel ? Peut-être cette question n’est-elle pas pertinente dès lors que l’espéranto ne doit être comparé qu’aux systèmes servant à la communication interculturelle. Si, lorsqu’un Finlandais et un Indonésien communiquent en
anglais, ils sont marqués par la façon anglo-saxonne
de percevoir le monde, qu’ils ont assimilée inconsciemment avec l’étude de la langue et l’entretien de leurs connaissances par la lecture, y ont-ils gagné ou perdu ? Sont-ils eux-mêmes, ou ont-ils été en quelque sorte altérés par la langue qui leur sert de truchement ?

A cet égard, il semble bien que l’espéranto garantisse le maintien de l’identité culturelle grâce à deux particularités. D’une part, sa souplesse donne beaucoup plus de liberté pour l’expression immédiate des concepts. Un Africain qui dit sametnano, "personne de la même
ethnie", kaprejo, "enclos-où-l’on-met-les-chèvres", frateta, "fraternel", mais uniquement dans le sens de "propre aux frères cadets" (fraternel en général se dit frata) dispose d’une langue plus maniable, pour les concepts typiquement africains qu’il veut rendre, que s’il s’exprimait en français ou en anglais. D’autre part, l’espéranto est marqué par son substrat interculturel : forgé par des interactions entre personnes des peuples et des cultures les plus diverses, qui ont peu ou prou
laissé leur empreinte dans la langue, il s’est adapté à l’expression des mentalités les plus dissemblables.

Cela dit, tout donne à penser qu’il existe bien un apport culturel propre à l’espéranto, dans le sens envisagé ici. Comme l’a souligné Pierre Janton, "bien qu’il ne soit pas une langue maternelle, il n’est pas non plus une langue étrangère. Chez l’espérantophone mûr, il n’est jamais ressenti comme un idiome étranger" [62].

Ce fait a d’importantes conséquences. La communication par l’espéranto est une expérience psychologique sans équivalent. Se retrouver avec un Yougoslave, un Chinois, un Iranien et un Suédois dans un groupe où personne n’a le sentiment de parler une langue étrangère et où tout le
monde se comprend est un vécu qui marque définitivement et qui modifie par lui-même la manière de sentir et de percevoir le monde, d’où le sentiment de solidarité qui relie spontanément les espérantophones.

Dans chaque contact par l’espéranto, les usagers de la langue vivent une expérience qui les réunit, puisqu’ils se sentent tous participants de ce même "miracle", mais qui, bien malgré eux, les sépare du reste du monde, étranger à ce type de vécu. Leur solidarité est parfois ressentie par le monde extérieur comme une exclusion et ce sentiment explique sans doute en partie les réactions affectives négatives que suscite si souvent l’espéranto. Si compréhensible qu’elle soit, cette réaction n’est pas pour autant justifiée : il n’y a pas exclusion, puisque toute personne qui le désire peut faire l’expérience ; mais il est vrai que celui qui n’apprend pas la langue ne saura jamais ce que représente ce vécu.

Notons incidemment que le chercheur soucieux d’aborder le monde de l’espéranto avec conscience professionnelle est obligé de se familiariser avec l’idiome qui est utilisé. S’il assiste à des réunions internationales et se mêle aux "indigènes" – comment, sans cela, étudier sérieusement
le milieu ? – il est lui aussi modifié par le vécu. Il ne sera donc pas objectif, après. Mais l’avait-il été, avant ? Peut-on porter un jugement objectif sur une réalité que l’on se garde de rencontrer ?

Quoi qu’il en soit, pareille expérience, sans équivalent dans les autres univers culturels, trouve son expression dans toutes sortes de productions : littérature, cabaret, chansons "auto-satiriques", etc... Elle est généralement associée à un idéal de respect de l’identité culturelle et
linguistique de chacun, ainsi qu’à une haute valorisation du dialogue et des relations humaines.

Toute culture a des racines historiques et les valeurs qui viennent d’être citées se rattachent à la motivation de Zamenhof, ancrée elle aussi dans un vécu : l’affectivité d’un enfant sensible traumatisé par les haines inter-ethniques qui formaient la trame de sa vie quotidienne dans sa ville natale, quadrilingue, de Bialystok. Quelque chose de ces affects s’est transmis par le biais de ses discours et de ses textes à une partie relativement importante de la diaspora espérantophone. On
sait que des idées du type "notre raison d’être est d’offrir un terrain neutre aux participants aux conflits ; nous avons une vocation historique à la médiation" font partie de l’image patriotique que le Suisse a de son pays, mais qu’une partie de la population helvétique a une position critique à l’égard de cette image de marque, trop belle pour être vraie. Une dialectique analogue se retrouve
dans la mentalité de la collectivité que nous étudions : l’exaltation d’un idéal de dialogue entre égaux, et, par réaction, la critique parfois très satirique de la réalité espérantiste. Si l’on tient compte de tous ces faits, il paraît difficile de nier que l’espéranto ait engendré une culture particulière, au sens de "façon de sentir".

Ce qui différencie cette culture des autres, c’est qu’elle ne modifie en rien l’identité ethnique et linguistique de base. Les espérantophones ne sont pas des cosmopolites comme le sont, par exemple, certains fonctionnaires internationaux. Ils sont très enracinés dans leur culture locale, ce dont témoigne le fait que beaucoup sont patoisants [63] ou attachés à leur langue régionale [64].

L’espéranto est une des rares langues autres que le français dans laquelle on puisse se procurer un
vocabulaire breton [65].

7. L’espéranto, langue destructrice ?

"[L’espéranto] est orienté (...) vers la suppression graduelle des traditions") [66].

"Certains pensent qu’il vaudrait mieux réduire le nombre des langues, ou, mieux encore, s’accorder sur une seule qui deviendrait universelle. L’espéranto est la meilleure tentative connue en la matière") [67].

L’espéranto est perçu par beaucoup comme un rouleau compresseur qui, si on le laisse démarrer, va écraser sur son passage toutes les langues ethniques et toutes les cultures locales. Comme souvent, le clivage est total entre les personnes qui traitent de l’espéranto a priori et les
membres de la collectivité espérantophone. En effet, la motivation la plus fréquente de l’adhésion à l’espéranto est le désir de concilier la volonté de communiquer par-dessus les barrières linguistiques et le respect de la langue de chacun, en prenant le mot langue dans un
sens large qui inclut les dialectes et les patois.

Il est curieux que tant de personnes imaginent que le but de l’espéranto est de remplacer les autres idiomes, alors qu’il n’a jamais été proposé que comme moyen de communication entre gens de langues différentes. Une des meilleures preuves en est l’existence, dans le monde
espérantophone, du bulletin Etnismo, consacré notamment aux langues et dialectes menacés ; cette publication n’a pas d’équivalent dans la plupart des langues du monde. Le Manifeste de Prague [68], adopté par le Congrès universel d’espéranto de Prague en 1996 pour préciser les buts de l’action en faveur de l’espéranto, exprime avec force cette attitude de respect envers les
langues "faibles" qui est souvent l’une des motivations de la décision d’adhérer à la collectivité espérantophone. Son point 6 est conçu comme suit :

DIVERSITÉ LINGUISTIQUE

Les gouvernements nationaux tendent à traiter la grande
diversité des langues dans le monde commeun obstacle à la communication et au progrès. Dans la communauté espérantophone, la diversité linguistique est vécue comme une source permanente et indispensable d’enrichissement.

Par suite, chaque langue, à l’instar de toute espèce vivante, est considérée comme porteuse de valeur et digne de protection et de soutien.

Nous affirmons que les politiques de communication et de
développement, si elles ne sont pas fondées sur le respect et le soutien de toutes les langues, condamnent à mort la majorité des langues dans le monde. Nous sommes un mouvement en faveur de la diversité linguistique.

Celui qui étudie le monde de l’espéranto est souvent surpris par un autre fait : ce milieu est favorable au maintien des langues nationales et des langues mortes comme branches de l’enseignement secondaire [69] [70] [71]. Il estime que l’idéal serait d’apprendre l’espéranto à l’école primaire, pour que les élèves disposent d’un moyen de communication utilisable dans le monde entier et d’une référence facilitant la maîtrise de la langue maternelle, puis d’enseigner au niveau secondaire telle ou telle autre langue destinée à élargir leur horizon culturel.

Replacé dans son contexte, l’espéranto apparaît comme un meilleur garant de la survie des langues en danger de mort que la plupart des autres formules proposées à cet effet.

En Afrique, par exemple, les cultures locales sont certainement plus menacées par le français et l’anglais
qu’elles ne le seraient par une langue qui n’appartient à aucun État, ne favorise aucune ethnie, n’est liée à aucun intérêt économique et a un substrat interculturel.

8. L’espéranto, jouet d’idéalistes ?

"C’est cette idée – que la babélisation de l’humanité est la source de tous les malentendus et de tous les maux – qui a inspiré et inspire encore les créateurs et les
propagandistes des langues universelles de synthèse, l’espéranto en particulier"
 [72].

"L’espéranto, qui résoudrait comme par miracle tous les problèmes – et pas seulement linguistiques ! – entre les hommes" [73].

"On affirme que la paix serait automatiquement instaurée entre les peuples (...) grâce à une deuxième langue commune" [74].

L’image de l’espéranto inclut souvent l’idée que ses partisans sont des idéalistes qui s’imaginent que la paix et l’harmonie résulteront automatiquement de l’adoption de leur code linguistique.

Personnellement, nous n’avons jamais rencontré d’espérantophone qui défende une position aussi naïve et nous n’avons trouvé de telles affirmations ni dans les réunions auxquelles nous avons assisté, ni dans les nombreux documents émanant du monde de l’espéranto que nous avons lus dans le cadre de notre recherche. Depuis quelque temps, lorsque semblable assertion paraît dans la presse, nous lançons un défi à son auteur : nous lui offrons 3000 francs suisses s’il peut nous citer un document émanant de la collectivité espérantophone qui lui permette d’étayer ses dires. Ce défi n’a jamais été relevé. On peut en conclure que les auteurs qui attribuent cet
idéalisme naïf aux partisans de l’espéranto ne se fondent sur aucune étude réelle du milieu qu’ils prétendent décrire ; ils ont rédigé leur texte sans avoir sous la main la preuve documentaire qui les rendrait crédibles et justifierait leur ton catégorique.

Notre propre recherche d’un tel document n’ayant donné aucun résultat, force est d’admettre que cette idée – l’équation "espéranto = paix" – n’a jamais eu cours au sein de la collectivité espérantophone. Il s’agit purement et simplement d’un préjugé, dont l’origine est probablement
liée à la haute valorisation du dialogue parmi les usagers de l’espéranto, ainsi qu’à leur volonté de respecter toutes les identités culturelles et linguistiques.

9. L’espéranto, langue sans peuple ?

"Une langue sans peuple" (titre d’un article sur l’espéranto) [75].

"L’espéranto ne serait-il pas (...) une de ces tentatives humanitaires, sans racines et sans terrain ?" [76].

L’image de l’espéranto, dans l’esprit du grand public comme dans celui de bien des linguistes, est fonction d’une image de la langue en général. Or, pour beaucoup, qui dit "langue" dit "peuple". On en arrive ainsi au syllogisme : Il n’y a pas de langue sans peuple ; or, l’espéranto n’a pas de peuple ; donc, l’espéranto n’est pas une langue.
La question n’est guère pertinente au point de vue où nous nous plaçons ici, qui est de voir si l’image de l’espéranto correspond ou non à la réalité en tant que moyen de communication interculturelle (et par référence aux résultats obtenus par d’autres moyens). Dans cette optique,
peu importe que l’espéranto soit ou non une vraie langue, le fait est que c’est un moyen de communication entre personnes de langues différentes qui remplit sa fonction, auprès de ses usagers, au moins aussi bien que l’anglais ou que l’interprétation simultanée.

Si l’image générale est correcte en ce sens que l’espéranto est effectivement une langue sans peuple, elle cesse de correspondre à la réalité quand on en déduit qu’il est ipso facto inférieur aux autres moyens de communication interculturelle ou qu’il ne peut servir à cette communication.

En fait, il y a confusion entre peuple et collectivité. Il est probable, en effet, qu’il ne peut y avoir langue vivante sans une collectivité offrant à l’idiome un cadre où il se développe naturellement et où il suscite une culture. Dans le cas de l’espéranto, cette collectivité existe bel et bien et la langue de Zamenhof y joue un rôle irremplaçable. Si tous les espérantophones renonçaient à leur moyen linguistique de communication, de nombreuses relations cesseraient, toute une production de cassettes, de DVD et CDRom, de livres, de périodiques et de spectacles
prendrait fin, bien des participants à des congrès, rencontres ou séjours de vacances seraient obligés de réorganiser une partie de leurs loisirs, un certain nombre de personnes perdraient leur emploi, bref, toute une vie s’arrêterait que rien ne pourrait remplacer.

En termes économiques, on pourrait dire que l’espéranto est une offre qui répond spécifiquement à une demande spécifique ; cette demande est certes limitée à une fraction de la population du globe, mais pour elle aucune autre offre n’y répond de façon aussi satisfaisante.

Les cinq faits suivants illustrent le caractère spécifique de cette demande et donc le caractère spécifique de la collectivité espérantophone :

1. Depuis 1887, l’espéranto n’a jamais cessé de se propager, encore que très lentement (sa diffusion en Iran, au Pakistan et dans certains pays d’Amérique latine date des années 1970, sa pénétration au Togo, en Tanzanie et au Bénin des années 1980). Or, cette progression s’est faite
malgré l’attitude nettement décourageante de l’ensemble de la société. Comment l’expliquer, sinon par le fait qu’il y a un besoin auquel l’espéranto répond mieux que les autres systèmes de communication interculturelle ?

2. Les tentatives d’extirpation n’ont jamais réussi. Il a suffi que l’interdiction de l’espéranto soit levée en URSS (lors de la déstalinisation) et en Chine populaire (après l’élimination de la "bande des quatre") pour que les clubs d’espéranto réapparaissent comme des champignons dans ces
deux pays.

3. Depuis le début, il y a toujours eu des jeunes qui apprennent l’espéranto et adhèrent à la collectivité ; celle-ci se maintient donc malgré le passage des générations. Autrement dit, il ne s’agit pas d’une mode. (La plupart des écrivains espérantophones ont appris la langue avant l’âge de 20 ans).

4. L’espéranto confère un sentiment particulier d’identité qui s’intègre avec le sentiment d’identité ethnique et nationale. Un Français qui sait l’espéranto se sent Français et espérantophone. Le même phénomène ne se produit pas avec les autres langues apprises. Un Français qui sait l’anglais se sent Français, et non Français et Anglo-Saxon.

5. Un certain nombre d’activités culturelles, comme le Festival de théâtre de marionnettes qui se tient chaque année à Zagreb [77], seraient impossibles sans un idiome que des non-Européens ou des personnes peu douées pour les langues puissent maîtriser assez rapidement et parler avec une phonologie claire. Le choix de l’anglais ou du français pour le festival précité en aurait éliminé,
pour des raisons phonétiques et à cause de la longue durée nécessaire à la maîtrise de ces langues, les troupes chinoises et japonaises qui se sont produites à Zagreb ; en tout cas, l’inégalité des chances, aux concours, serait nettement plus marquée avec une autre langue que l’espéranto.

D’ailleurs, est-ce un peuple qui est nécessaire pour faire vivre une langue, ou une volonté collective ? La volonté collective de faire prospérer et rayonner la langue, volonté garante de sa vitalité, est plus forte aujourd’hui pour l’espéranto que pour certaines langues à statut officiel, comme le gaélique ou le romanche.

10. L’espéranto, un échec ?

"Il arrive aussi qu’il en naisse (des langues], mais jamais du néant : l’espéranto et le volapuk sont des échecs" [78].

"L’échec de l’espéranto s’en trouverait vengé" [79].

"Les tentatives pour créer des langues internationales artificielles comme l’espéranto ont échoué." [80]

L’image la plus courante de l’espéranto est l’image d’un échec. L’espéranto, dit-on, a eu quelque succès à une certaine époque, mais son ambition de conquérir le monde n’a pas pu être réalisée. Vaut-il la peine d’entreprendre sur ce point une confrontation entre l’image et la réalité ? L’échec de l’espéranto n’est-il pas patent ? Il importe en tout cas d’appliquer à cette langue les mêmes critères d’échec qu’aux autres réalités comparables. On ne saurait adopter deux poids et deux mesures.

"Échouer" signifie "ne pas atteindre le but qu’on s’est fixé". Pour déterminer si une entreprise a échoué, la première opération consiste donc à se documenter sur son but. Dans le cas qui nous occupe, ce n’est pas facile. Très divers à bien des égards, les membres de la collectivité
espérantophone le sont aussi par leur façon de percevoir la finalité de l’espéranto.

Pour certains – notamment pour les jeunes qui ont signé le "Manifeste de Rauma" [81] – l’espéranto est essentiellement la langue d’une collectivité qui se doit de développer ses valeurs, et en particulier l’aspect littéraire et artistique de la culture qu’elle a engendrée. Pour ce courant, il n’y a aucun sens à vouloir travailler l’opinion mondiale en vue d’une adoption générale de l’espéranto. Leur pensée peut se résumer comme suit : Nous sommes un groupe humain ayant des valeurs propres et une culture en plein essor. Ces richesses ont un rayonnement certain
puisque des gens se joignent à nous malgré l’indifférence générale. Laissons ce rayonnement naturel exercer son action en respectant la position de ceux que notre culture n’intéresse pas
.

D’autres estiment que l’apport de l’espéranto doit surtout être d’ordre pédagogique et ils travaillent à le faire accepter dans l’enseignement [82].

Pour d’autres encore, l’espéranto offre une solution tellement satisfaisante au problème de la communication internationale qu’un effort de prosélytisme se justifie. Il s’efforcent, en particulier, de faire accepter ce mode de communication par les organisations internationales, qui
dépensent des sommes énormes pour un résultat qualitativement bien inférieur à celui qu’obtiennent sans frais les associations espérantistes [83].

Enfin, un quatrième groupe intègre l’espéranto dans un combat politico-social. Il estime que la non-participation
des couches défavorisées de la société ou des grandes masses à la vie internationale résulte d’une série de facteurs sociaux agissant par le biais de l’école et
aboutissant à enfermer d’énormes parties de la population humaine dans des cultures étanches.

Dans cette optique, l’espéranto apparaît comme le moyen le plus propre à briser les barrières culturelles et à donner aux travailleurs une réelle ouverture au monde, favorisant du même coup un courant de solidarité qui transcende les préjugés ethniques et nationaux [84].

Quel était le but de la langue internationale dans le projet de Zamenhof ? Il faut distinguer chez lui un but et un espoir. Son but, il l’a lui-même défini en disant :

"Que chaque personne ayant appris la langue puisse l’utiliser pour communiquer avec des personnes d’autres nations, que cette langue soit ou non adoptée dans le monde entier, qu’elle ait ou non beaucoup d’usagers " [85].
(C’est nous qui soulignons)

Quant à son espoir, c’était que la langue, enrichie par l’usage tant littéraire que pratique, apparaisse progressivement à un nombre croissant de personnes comme une solution, imparfaite, mais optimale, aux problèmes de communication interethnique et qu’elle favorise ainsi le
dialogue dans un climat de respect mutuel. Il l’a formulé dans son discours au premier congrès d’espéranto, à Boulogne-sur-Mer, en 1905, lorsqu’il a comparé la communication entre usagers de l’espéranto à celle où

"une personne d’une nation se sent humiliée face à un interlocuteur d’une autre nation, elle doit parler la langue de celui-ci comme s’il y avait honte à employer la sienne ; elle bégaie et rougit et se sent embarrassée devant son interlocuteur, alors que parmi nous elle se sentirait forte et fière ; dans notre réunion (...) personne n’est humilié, personne n’est embarrassé" [86].

Ce même congrès a adopté à l’unanimité des 688 participants, venus d’une vingtaine de pays, une Déclaration qui représentait, si l’on veut, la charte de l’espérantisme de l’époque. Il y était précisé que celuici
consiste en

"un effort déployé pour répandre dans le monde l’usage d’une langue internationale neutre qui, sans s’immiscer dans les affaires intérieures des peuples et sans viser à se substituer aux langues nationales, permette à des personnes de différentes nations de se comprendre, puisse servir de langue intermédiaire dans les pays où plusieurs nationalités sont en conflit linguistique et soit une langue de publication pour des œuvres présentant un égal intérêt pour tous les peuples" [87].

La diversité des buts était reconnue au point 3 de cette même Déclaration qui stipule que "toute personne peut utiliser la langue dans n’importe quel but" [88].

Au vu de ces divergences, quelle réponse l’étude des faits peut-elle donner à la question : l’espéranto a-t-il échoué ?

Le but de Zamenhof a certainement été atteint : l’enrichissement de la langue s’est produit (pas toujours dans le sens qu’il souhaitait) et la communication qu’il désirait voir s’instaurer entre personnes de diverses nations s’effectue à la pleine satisfaction des intéressés.

Les espérantophones pour qui il s’agit essentiellement de vivre une vie culturelle sui generis, sans se préoccuper de l’opinion de ceux que l’espéranto n’intéresse pas, ont atteint leur but eux aussi : cette vie existe et se développe normalement.

Ceux qui voient surtout dans l’espéranto un moyen de développer l’intellect, la créativité et l’horizon culturel de l’enfant par le biais de l’enseignement à l’école ont partiellement réussi dans certains pays (Hongrie [89]), les perspectives leur sont très favorables dans d’autres (Finlande [90]) et leur échec est total dans un troisième groupe (France [91]).

Ni les efforts faits pour introduire l’espéranto dans la vie internationale officielle, ni l’action menée pour le faire largement connaître aux classes défavorisées n’ont abouti jusqu’ici.

Faut-il conclure qu’il y a réussite dans un segment considérable de la collectivité espérantophone et échec dans un autre segment, important lui aussi ? Pour mettre toutes les chances de l’objectivité de notre côté, demandons-nous si l’on emploie le mot "échec" dans le
même sens dans les autres domaines. Par exemple, dans tel pays où la lutte pour les droits de l’homme a commencé il y a plus d’un siècle, dira-t-on qu’elle a échoué puisqu’un régime oppressif y est toujours en place ? Non, on dira tout au plus qu’elle n’a pas encore abouti. Or, ce
n’est pas dans cet esprit que l’on parle de l’échec de l’espéranto, mais dans un contexte qui signifie : "L’affaire est classée ; c’est une curiosité historique ; il n’y a plus aucun sens à s’en occuper". Inconsciemment, on applique aux partisans de l’espéranto d’autres critères qu’aux défenseurs de causes comparables relevant également de l’action politique ou sociale. Il y a, bel et bien, deux poids et deux mesures.